La Porsche 917, conçue pour dominer les 24 Heures du Mans et répondre aux règlements de la catégorie Sport de la FIA, représentait l'apogée de l'ingénierie allemande à la fin des années 1960. Dotée d'un moteur 12 cylindres à plat développant initialement plus de 520 chevaux, elle incarnait la quintessence de la voiture de course.
Le châssis 030 (à ne pas confondre avec la Porsche 917/30, un autre type), objet de notre attention, fut l'un des derniers exemplaires produits dans cette illustre lignée. Contrairement à ses sœurs uniquement destinées aux circuits, il allait connaître un destin particulier, fruit d'une relation privilégiée entre Porsche et l'un de ses plus fidèles mécènes.
Une unique course et un rôle expérimental
Le châssis 030 n'a participé qu'à une seule épreuve en compétition. Le 27 juin 1971, engagé aux 1000 kilomètres de Zeltweg en Autriche, il portait les couleurs de l'écurie Martini Racing sous la direction de Hans-Dieter Dechent. Confié aux mains de Helmut Marko et Gerard Larrousse, il s'élança de la troisième position sur la grille de départ, derrière la 917 K de John Wyer et la Ferrari 312 P de l'écurie officielle.
Ce qui rend cette participation particulièrement intéressante, c'est que la voiture était équipée d'un système expérimental : un dispositif anti-blocage des freins à transistors, technologie sur laquelle les ingénieurs de Porsche travaillaient dans le plus grand secret. Malheureusement, après avoir occupé la deuxième position pendant près de quatre heures de course, un incident technique – une crevaison ayant endommagé la carrosserie suivie d'un problème de feux arrière au 122ème tour – contraignit l'équipage à l'abandon.
Cette course marqua la fin de la carrière en compétition du châssis 030, mais certainement pas la fin de son histoire. Zeltweg serait la dernière apparition d'une 917 Martini, l'équipe de Dechent n'étant pas présente à Watkins Glen pour la finale du championnat du monde un mois plus tard.
Du circuit à la route
Au lieu d'être remisée ou démontée comme bon nombre de voitures de course en fin de carrière, la 917 châssis 030 fut rapatriée à l'usine pour y subir des tests approfondis. Durant les douze mois qui suivirent, elle servit de banc d'essai pour le développement du système ABS, une technologie qui allait révolutionner la sécurité automobile dans les décennies suivantes. Durant cette période, elle reçut des modifications notables, notamment des ouïes de refroidissement caractéristiques au sommet de chaque aile avant.
Le tournant dans l'histoire de cette automobile survint en 1975. Comme le raconte Porsche : "Le 28 avril 1975, une Porsche 917 unique sortait du centre de développement de Weissach. Elle ne se dirigeait pas vers un circuit, comme toutes les 917 avant elle, mais prenait pour la toute première fois la route publique."
Cette décision extraordinaire de transformer une pure voiture de compétition en véhicule routier n'était pas le fruit du hasard, mais bien l'expression de la gratitude de Porsche envers l'un de ses plus importants soutiens
Cette décision extraordinaire de transformer une pure voiture de compétition en véhicule routier n'était pas le fruit du hasard, mais bien l'expression de la gratitude de Porsche envers l'un de ses plus importants soutiens : le comte Teofilo Guiscardo Rossi di Montelera, héritier de l'empire Martini & Rossi et fervent supporteur de la marque depuis 1968. En signe de reconnaissance pour son soutien, l'usine a fourni au comte Rossi le châssis 030, le seul jamais "officiellement" préparé pour la route
Le défi de l'homologation
La transformation d'une voiture de course en véhicule routier homologué représentait un défi colossal, même pour un constructeur de l'envergure de Porsche. Le châssis 030 dut subir de nombreuses modifications pour satisfaire aux exigences minimales de sécurité et de confort.
L'extérieur fut repeint en "Martini Silver" avec des jantes assorties, tandis que l'intérieur reçut une sellerie en cuir noir. Des silencieux d'échappement furent installés pour atténuer le rugissement du moteur 12 cylindres, désormais un peu moins puissant mais toujours capable de performances stupéfiantes. Des rétroviseurs, des clignotants et un klaxon complétaient l'équipement réglementaire.
Malgré tous ces efforts, l'homologation se heurta à un mur administratif en Europe. « Après le refus de plusieurs autorités européennes de coopérer, le 030 a finalement été accepté par l'État américain de l'Alabama. » rappelle Supercar Nostalgia. Cette solution insolite reposait sur un gentleman's agreement, puisqu'une "licence a été accordée à condition que la Porsche ne s'approche jamais de la frontière de l'État". Oui, vous avez bien lu, l'État d'Alabama accordait une immatriculation avec l'assurance que la voiture ne franchirait jamais ses frontières. Paradoxal ?
Le comte Rossi respecta sa parole et, après avoir pris livraison en avril 1975, conserva la voiture en Europe, arborant fièrement sa plaque d'immatriculation américaine "61-27737".
Si la 917 de route offrait des sensations de pilotage incomparables, elle présentait également les inconvénients inhérents à sa conception originelle de voiture de course. La visibilité restreinte, la maniabilité délicate à basse vitesse, l'absence de confort acoustique et une ergonomie spartiate en faisaient un véhicule exigeant, réservé aux conducteurs les plus expérimentés.
Une pièce de collection inestimable
Le comte Rossi conserva fidèlement sa 917 jusqu'à son décès en 2003, date à laquelle elle passa aux mains de son fils. "Aujourd'hui, la voiture fait toujours le bonheur de son propriétaire actuel, qui la conduit avec enthousiasme sur les routes du sud de la France, où elle réside désormais. Immatriculée au Royaume-Uni, elle a récemment fait l'objet de travaux de restauration (qui ont toutefois préservé sa peinture et son intérieur d'origine)" afin de la préparer pour le prochain demi-siècle, durant lequel elle continuera de surprendre les autres usagers de la route" précise Porsche.