En 1967, au salon automobile de New York, les visiteurs découvrent une forme rouge écarlate posée à 35 pouces du sol seulement. La Chevrolet Astro I Experimental dévoile ses lignes futuristes au public, mais son histoire commence bien plus tôt, dans l'ombre d'un entrepôt clandestin du Michigan.
Ce concept-car aérodynamique cache une genèse tumultueuse : conçu initialement comme une arme secrète pour Le Mans, transformé en vitrine technologique, puis sauvé de la destruction par l'obstination de Bill Mitchell, le légendaire patron du design GM. Derrière sa carrosserie en fibre de verre se cache l'un des chapitres les plus rocambolesques de l'histoire du design automobile américain.
Une naissance clandestine dans l'ombre du Tech Center
L'histoire de l'Astro I commence pendant les fêtes de fin d'année 1965. Roy Lonberger, jeune designer du studio Chevrolet-2, profite d'une tempête de neige qui paralyse le Tech Center de Warren pour dessiner sa vision d'une voiture de course ultra-basse. Ses croquis accrochés au mur attirent l'œil de Bill Mitchell à son retour de vacances. La réaction est immédiate : Mitchell embarque Lonberger dans sa Buick Riviera Silver Arrow et l'emmène dans un entrepôt anonyme situé de l'autre côté de la 12 Mile Road.
Ce « Warehouse Studio », officiellement appelé Advanced-5, servait de repaire secret à Mitchell pour contourner l'interdiction formelle de GM de participer aux courses automobiles. Comme le raconte Roy Lonberger dans une interview, Mitchell lui confie alors une mission top-secrète : créer une carrosserie pour un châssis de course développé par Frank Winchell chez Chevrolet R&D, destiné à être testé au Mans par l'équipe Chaparral de Jim Hall.
Le cahier des charges défie l'imagination : 35 pouces de hauteur totale, habitacle monocoque avec seuils hauts, direction centrale, accès par verrière type avion de chasse, rétroviseur périscope, vitres latérales couleur carrosserie, aérofreins escamotables et formes créant de l'appui aérodynamique. Le tout devait s'intégrer dans l'idiome stylistique Corvette.
L'héritage caché du programme Monza
L'Astro I ne naît pas de rien. Son châssis provient du programme Monza GT/SS initié en 1961, une réponse aux problèmes de stabilité de la Corvair. Ed Cole avait d'abord développé une version traction avant avec un moteur boxer modulaire pouvant assembler de 4 à 10 cylindres. Mitchell, horrifié par les proportions d'un moteur dépassant des roues avant, convainc Frank Winchell de retourner le châssis et de placer le moteur en position centrale arrière.

Cette architecture donne naissance aux légendaires Monza GT et SS de 1962, présentées à Elkhart Lake avec le pilote d'Indianapolis Mauri Rose au volant. Le succès est tel que Jim Hall, présent ce jour-là, approche Mitchell pour développer ses futures Chaparral. Un troisième châssis est construit pour une version de production qui ne verra jamais le jour. C'est ce châssis orphelin, équipé du fameux moteur modulaire en configuration course, qui devient la base mécanique de l'Astro I.

Le design est achevé en février 1966, présenté sous forme de maquette. Mais le projet est brutalement annulé par la direction. Mitchell refuse la destruction ordonnée et cache la voiture dans son entrepôt secret.
La métamorphose d'une arme de course en icône futuriste
Un an plus tard, Mitchell ressuscite le projet pour le salon de New York 1967. La transformation est radicale : la livrée blanc nacré devient rouge écarlate, les vitres opaques deviennent transparentes, un siège élévateur remplace le baquet fixe, les jantes Chaparral cèdent place à des roues aérodynamiques affleurantes. Le volant de course laisse place à un manche d'avion futuriste.

Selon le site officiel GM Heritage, l'Astro I est présentée comme une exploration du « potentiel visuel des caractéristiques aérodynamiques automobiles ». La plateforme Corvair avec son moteur arrière refroidi par air permet l'absence de radiateur frontal, libérant les designers pour créer une proue effilée impossible sur une architecture conventionnelle.

Le moteur modulaire de course disparaît mystérieusement, remplacé par un quatre cylindres Corvair de 1963 plus présentable. À ce jour, personne ne sait ce qu'est devenu ce moteur expérimental, dernière trace du programme de course avorté. L'Astro I devient ainsi un show-car, mais ses proportions extrêmes et ses solutions techniques restent gravées dans les mémoires.
Un langage formel révolutionnaire pour l'époque
L'Astro I introduit des concepts aérodynamiques radicaux pour 1967. Sa hauteur de 89 centimètres impose des solutions inédites : l'habitacle devient une bulle minimale, les passages de roues se fondent dans la carrosserie, les entrées d'air disparaissent au profit de fentes discrètes. La forme en goutte d'eau inversée, avec sa poupe tronquée brutalement, préfigure les recherches aérodynamiques des décennies suivantes.

Les détails techniques fascinent : le périscope remplace les rétroviseurs conventionnels, anticipant les caméras modernes. Les aérofreins escamotables évoquent l'aviation militaire. Le soubassement travaillé pour créer un effet de sol précède de dix ans les premières Formule 1 à effet de sol. Ces innovations, destinées initialement à la compétition, deviennent des manifestes stylistiques.
L'influence se ressent immédiatement. L'année suivante, GM présente l'Astro II, une interprétation plus sage et accessible du concept. Les lignes tendues et la silhouette en coin influencent toute une génération de concept-cars, de la Lancia Stratos Zero de Bertone à la Ferrari Modulo de Pininfarina. Même la Corvette C3 reprend certains codes stylistiques, notamment le traitement des passages de roues intégrés.
Mitchell, le parrain imprévisible du design radical
L'Astro I révèle la personnalité complexe de Bill Mitchell. Capable de cacher un programme de course complet dans un entrepôt clandestin, de sauver un projet condamné en le transformant en show-car, d'imposer sa vision contre l'avis de ses supérieurs, Mitchell incarne une époque où le design automobile relevait autant de la passion que de la politique d'entreprise.

L'Astro I cristallise cette époque. Née d'un caprice de Mitchell, développée dans le secret absolu avec des fonds détournés d'autres projets, sauvée de la casse par obstination, elle témoigne d'une liberté créative impensable dans l'industrie automobile moderne. Larry Shinoda, chargé de superviser le projet, devait même monter la garde devant l'entrepôt pour empêcher les autres cadres GM d'y pénétrer.

L'Astro I Experimental demeure aujourd'hui dans la collection du GM Heritage Center, témoin silencieux d'une époque où un vice-président pouvait lancer un projet Le Mans secret dans un entrepôt clandestin. Sa carrosserie rouge cache les cicatrices de ses multiples vies : arme de course avortée, manifeste aérodynamique, icône du design radical des sixties. Plus qu'un simple concept-car, elle incarne l'audace créative d'une General Motors capable de produire des visions futuristes sans compromis. Régulièrement exposée lors d'événements spéciaux, elle continue de fasciner par ses proportions impossibles et son histoire tumultueuse.

Dans les archives de GM, elle porte toujours la mention XP-842, numéro de code d'un rêve de course transformé en légende du design.

