Qui l'eût cru ? Renault, pionnier de l'électrique en Europe avec sa Zoé dès 2012, envisage aujourd'hui de réintroduire des motorisations thermiques sur deux de ses modèles phares : la Mégane et le Scénic. Cette annonce pourrait figurer dans le nouveau plan stratégique du constructeur français prévu pour le premier trimestre 2026. Un virage à 180 degrés qui soulève de nombreuses questions sur l'avenir de l'électromobilité et la stratégie du groupe au Losange.
Rappelons que ces deux noms emblématiques, inscrits dans l'ADN de Renault depuis respectivement 1995 et 1996, n'existent plus aujourd'hui qu'en versions 100 % électriques. La Mégane E-Tech Electric, lancée en 2021, et le Scénic E-Tech Electric, arrivé en 2023 et sacré Voiture de l'année 2024, reposent sur la plateforme CMF-EV dédiée exclusivement aux motorisations électriques. Un choix audacieux qui semblait alors marquer l'avenir de la marque, mais que la réalité du marché pourrait bien remettre en cause. François Provost, directeur général du groupe depuis juillet dernier, prépare activement ce nouveau cap stratégique qui pourrait rebattre les cartes de la gamme Renault.
Des ventes décevantes qui obligent à repenser la stratégie
Le marché de la voiture électrique stagne en Europe, bien en deçà des prévisions initiales. Les infrastructures de recharge restent insuffisantes dans de nombreuses régions, l'angoisse de l'autonomie persiste, et les tarifs pratiqués demeurent prohibitifs pour une large partie de la clientèle. Les réductions tarifaires consenties par Renault n'ont pas suffi à inverser la tendance, preuve que le problème dépasse la simple question du prix.
Face à cette situation, Renault se trouve dans une position délicate. Les investissements consentis pour développer ces modèles électriques doivent être rentabilisés, les usines doivent tourner à plein régime, et la marque ne peut se permettre d'abandonner deux segments aussi stratégiques que celui des compactes et des SUV familiaux. Le doute grandit également sur le maintien de l'interdiction des ventes de véhicules thermiques neufs en Europe prévue pour 2035, rendant d'autant plus pertinente une stratégie d'ouverture.
Le prolongateur d'autonomie, une solution technologique élégante
La solution envisagée par Renault ne passerait pas nécessairement par un retour à l'hybridation classique, mais plutôt par l'adoption d'un prolongateur d'autonomie. Cette technologie, déjà éprouvée chez certains concurrents comme Nissan avec son système e-Power, offre un compromis intelligent entre l'électrique et le thermique. Le principe est simple : un petit moteur essence ne sert jamais à entraîner les roues, mais uniquement à recharger la batterie lorsque celle-ci approche de l'épuisement.
Horse Powertrain, la coentreprise formée par Renault, le constructeur chinois Geely et le géant pétrolier Aramco, a justement dévoilé lors du salon de Munich un moteur révolutionnaire baptisé C15. Ce bloc essence trois cylindres développe entre 95 et 163 ch et se distingue par sa compacité exceptionnelle : 50 centimètres de large, 55 de long et seulement 27,5 centimètres de haut. Des dimensions qui lui permettent de s'intégrer dans pratiquement n'importe quel véhicule, que ce soit verticalement ou horizontalement, sans bouleverser l'architecture existante.

Cette approche présente plusieurs avantages. Elle permet de conserver l'agrément de conduite d'un véhicule électrique tout en rassurant les automobilistes réticents face aux contraintes de la recharge. Le conducteur bénéficie du couple immédiat et de la souplesse d'un moteur électrique, tout en disposant d'une autonomie quasi illimitée grâce au réservoir d'essence. Techniquement, l'intégration d'un tel prolongateur sur les plateformes CMF-EV actuelles représenterait toutefois un défi de taille et un coût substantiel, les fondations de ces voitures n'ayant jamais été pensées pour accueillir un moteur thermique.
Une nouvelle plateforme multi-énergie à l'horizon 2030
Pour répondre durablement à cette problématique, Renault travaille d'ores et déjà sur une solution plus pérenne. Fabrice Cambolive, directeur exécutif de la marque, a confirmé le développement d'une nouvelle plateforme dite « multi-énergie » destinée aux modèles des segments C et D. Cette base technique, conçue prioritairement pour l'électrique, sera également compatible avec des systèmes hybrides rechargeables et des prolongateurs d'autonomie.
Le dirigeant français a reconnu qu'une plateforme exclusivement électrique fonctionne remarquablement bien sur le segment B, comme en témoigne le succès commercial de la Renault 5 et les excellentes prévisions pour la future Renault 4. En revanche, pour les véhicules plus grands et plus lourds, une architecture flexible capable d'accueillir différentes motorisations s'avère plus pertinente économiquement et commercialement. Cette philosophie marque une évolution notable par rapport à la stratégie initiale du groupe.
L'arrivée de cette nouvelle plateforme est prévue « autour de 2030 », selon les mots de Cambolive. Elle accueillera quatre nouveaux modèles parmi les huit annoncés dans le cadre du plan « Renaulution ». Pour les actuelles Mégane et Scénic électriques, le calendrier pourrait être plus serré. Des versions équipées d'un prolongateur d'autonomie pourraient voir le jour dès 2027 ou 2028, à l'occasion du restylage à mi-carrière du Scénic. Il reste encore six mois à Renault pour finaliser sa décision et l'intégrer dans le plan stratégique de 2026, un délai qui semble court au regard des enjeux techniques et industriels.
Le prochain rendez-vous est fixé au premier trimestre 2026, lorsque François Provost dévoilera le nouveau plan stratégique de Renault. D'ici là, les équipes du constructeur français devront trancher : faut-il persévérer dans la voie du tout-électrique malgré les déconvenues commerciales, ou admettre que le marché n'est pas encore mûr pour une transition aussi radicale ? Cette décision, quelle qu'elle soit, dessinera les contours de Renault pour la décennie à venir et pourrait inspirer d'autres constructeurs européens confrontés aux mêmes dilemmes. Entre convictions écologiques et réalités économiques, l'arbitrage s'annonce délicat pour un groupe qui, depuis ses origines en 1898, a toujours su naviguer entre innovation audacieuse et pragmatisme industriel.

