L'histoire du design automobile est jalonnée de tendances qui ont profondément marqué leur époque. Parmi celles-ci, le « Wedge Design » – littéralement le "design en coin" – s'est imposé comme l'une des signatures stylistiques les plus audacieuses et reconnaissables des années 1970 et 1980.
Cette approche radicale, caractérisée par des lignes tendues et des profils bas et fuselés évoquant un coin ou une lame, a révolutionné l'esthétique automobile à une période où l'industrie cherchait à se réinventer. Née dans les studios italiens, popularisée par des concepteurs visionnaires, cette tendance a donné naissance à certaines des silhouettes les plus emblématiques de l'histoire automobile.
L'émergence d'une révolution stylistique
Le Wedge Design trouve ses premières expressions concrètes au milieu des années 1960, alors que l'industrie automobile commence à explorer les possibilités offertes par l'aérodynamisme et les nouvelles techniques de production. C'est toutefois en Italie, dans les ateliers de carrossiers prestigieux comme Bertone, Pininfarina et Italdesign, que cette tendance prend véritablement son envol.
La Lamborghini Miura, dessinée par Marcello Gandini pour Bertone en 1966, peut être considérée comme l'une des premières incarnations de cette nouvelle philosophie, avec son profil bas et son capot plongeant. Mais c'est véritablement avec la présentation de la spectaculaire Lancia Stratos Zero en 1970 que le Wedge Design atteint sa forme la plus pure et radicale. Ce concept-car signé Bertone, avec son pare-brise incliné à l'extrême et sa hauteur de seulement 84 centimètres, incarnait parfaitement cette nouvelle vision où la voiture semblait avoir été sculptée par le vent lui-même. Citons aussi l'exceptionnelle Bizzarrini Manta de Giorgetto Giugiaro ou l'extraordinaire Alfa Romeo Carabo de 1968, qui est en couverture du livre « When edhe Had The Hedge », un ouvrage entièrement dédié à ce design si particulier.
Cette approche stylistique n'était pas qu'une simple posture esthétique. Elle répondait également aux préoccupations croissantes concernant l'aérodynamisme et la consommation de carburant, particulièrement après les chocs pétroliers des années 1970. Le profil en coin permettait de réduire significativement la traînée, offrant ainsi de meilleures performances avec une consommation réduite – un argument de poids à une époque où le prix du carburant flambait.
Marcello Gandini, le maître incontesté
Si le Wedge Design compte plusieurs interprètes talentueux, un nom se détache particulièrement : Marcello Gandini. Ce designer italien, directeur du style chez Bertone pendant de nombreuses années, peut légitimement être considéré comme le grand maître de cette tendance stylistique.
« Je recherchais une forme simple, pure, presque mathématique », expliquait Gandini dans une interview accordée au magazine Auto & Design. Cette quête de pureté géométrique a donné naissance à des créations légendaires comme la Lamborghini Countach (1974), peut-être l'expression la plus parfaite et la plus influente du Wedge Design. Avec ses lignes tendues à l'extrême, ses surfaces planes et ses portes en élytre, la Countach semblait tout droit sortie d'un futur lointain.
L'influence de Gandini s'est étendue bien au-delà des supercars exotiques. Ses créations pour Citroën (BX), BMW (Série 5 E12), Alfa Romeo (Montreal) ou encore Maserati (Khamsin) témoignent de la versatilité de son approche. Chacune de ces voitures incorporait, à des degrés divers, les principes du design en coin, adaptés aux contraintes spécifiques de chaque segment.
L'anecdote veut que Gandini dessinait ses voitures d'un seul trait, sans lever le crayon, traduisant ainsi sa vision d'une silhouette automobile parfaitement continue et fluide. Cette méthode donnait à ses créations une cohérence visuelle remarquable, où chaque ligne semblait découler naturellement de la précédente.
L'âge d'or et l'héritage du Wedge Design
Les années 1970 et le début des années 1980 marquent l'apogée du Wedge Design, avec une prolifération de modèles adoptant cette approche stylistique. La Lotus Esprit (1976), dessinée par Giorgetto Giugiaro, offre une interprétation britannique particulièrement réussie de cette tendance, tout comme la Ferrari 308 GTB de Pininfarina ou l'audacieuse DeLorean DMC-12, dont les lignes anguleuses ont été immortalisées par la trilogie « Retour vers le futur ». A la rédaction, on adore la Lamborghini Marzal, tellement radicale, pensée sans compromis.
Même les constructeurs réputés pour leur conservatisme n'ont pas échappé à l'influence du coin. La Triumph TR7, avec son profil cunéiforme radical, représentait une rupture complète avec le style traditionnel des roadsters britanniques. De l'autre côté de l'Atlantique, la Chevrolet Corvette C3 adoptait également certains codes du Wedge Design, adaptés aux goûts américains.
Si l'engouement pour les lignes extrêmement tendues s'est progressivement atténué vers la fin des années 1980, remplacé par des approches plus organiques et aérodynamiques, l'héritage du Wedge Design demeure intact. Son influence se perçoit encore aujourd'hui dans certaines hypercars contemporaines qui, à l'instar de la Lamborghini Aventador, perpétuent cette tradition de profils bas et de lignes agressives.
Les voitures de cette période sont aujourd'hui parmi les plus recherchées par les collectionneurs, atteignant des valorisations impressionnantes lors des ventes aux enchères spécialisées. La Countach, par exemple, s'échange couramment au-delà du million d'euros, témoignant de la fascination durable qu'exerce cette esthétique radicale.
