L'histoire de l'automobile italienne regorge de noms prestigieux qui ont façonné notre passion pour les voitures de sport. Ferrari, Maserati, Alfa Romeo... et pourtant, certains constructeurs plus confidentiels ont créé des chefs-d'œuvre qui méritent amplement leur place au panthéon des légendes motorisées. La Siata 208S représente précisément ce type de trésor caché, alliance parfaite entre ingénierie raffinée et carrosserie sculpturale, produite en quantité si limitée qu'elle est aujourd'hui l'une des italiennes les plus recherchées par les collectionneurs avertis.
Genèse d'un spyder d'exception
Société Italiana Applicazioni Trasformazioni Automobilistiche – SIATA pour les intimes – n'a pas commencé son aventure comme constructeur à part entière. Fondée en 1926 par Giorgio Ambrosini, pilote amateur passionné, l'entreprise turinoise s'est d'abord spécialisée dans la production d'accessoires et la préparation de modèles Fiat. Une vocation qui explique les liens étroits tissés entre les deux marques au fil des décennies.
De préparateur à constructeur
Après la Seconde Guerre mondiale, Siata franchit un cap décisif en produisant ses propres automobiles, tout en conservant son expertise dans l'optimisation des mécaniques Fiat. La petite Amica (basée sur la Fiat 500 Topolino) ou encore la Daina (dérivée de la Fiat 1400) témoignent de cette stratégie consistant à sublimer les bases techniques existantes.
C'est finalement en 1952 que Siata saisit l'opportunité qui allait donner naissance à son chef-d'œuvre. Quand Fiat lance son audacieuse 8V (connue en Italie sous le nom d'Otto Vu), dotée d'un moteur V8 de 2 litres, l'échec commercial relatif de cette sportive d'exception permet à Siata de récupérer les précieux châssis et moteurs invendus. Un trésor mécanique que la petite firme va magnifier à travers sa propre création : la 208S.
Une mécanique noble dans un écrin de rêve
La 208S n'était pas qu'une simple adaptation. L'entreprise développa un châssis tubulaire spécifique, associé à une carrosserie en aluminium d'une élégance rare. Si le coupé 208CS avait fière allure, c'est surtout la version Spider, avec sa carrosserie signée Motto sur un dessin probablement dû à Giovanni Michelotti ou Franco Scaglione, qui marqua les esprits par sa pureté de lignes.
Le moteur, véritable bijou technique, n'était autre que le V8 Fiat, un bloc en aluminium avec ses huit cylindres disposés selon un angle inhabituel de 70 degrés. Dans sa version Siata, cette mécanique développait entre 110 et 140 chevaux selon les préparations, une puissance considérable pour l'époque, surtout rapportée au poids plume de la voiture (environ 890 kg).
Une sportive pure aux performances remarquables
Sur route comme en compétition, la 208S s'est révélée être une machine exceptionnelle, capable de tenir tête aux Ferrari et Maserati contemporaines malgré un prix nettement plus accessible.
Prouesses techniques et sensations pures
Le châssis de la 208S représentait l'état de l'art pour l'époque, avec une suspension indépendante aux quatre roues – une rareté en 1953. Cette architecture sophistiquée combinée à un empattement de 2,69 mètres offrait un comportement routier unanimement salué pour sa précision et son équilibre.
La presse spécialisée ne s'y trompa pas. Le magazine Road & Track, après avoir essayé une 208S, chronométra un 0 à 100 km/h en 12,4 secondes et un 400 mètres départ arrêté en 17,8 secondes. Des chiffres impressionnants pour l'époque, complétés par une vitesse de pointe avoisinant les 180 km/h. Plus légère et moins onéreuse que ses rivales directes, la Siata savait aussi se montrer plus agile dans les virages serrés.
Une carrière américaine
Le destin de la 208S prit un tournant décisif lorsqu'Ernie McAfee, pilote, collectionneur et homme d'affaires californien, devint le distributeur officiel de la marque aux États-Unis. Sur les 37 exemplaires du Spider produits entre 1952 et 1954, McAfee en importa pas moins de 25, contribuant ainsi à faire connaître cette italienne d'exception outre-Atlantique.
La 208S s'illustra rapidement en compétition sur le sol américain. Dick Hayward remporta notamment les Santa Barbara Road Races en mars 1956 dès la première sortie en course de l'exemplaire qu'il pilotait. Cette aura sportive attira même des personnalités comme Steve McQueen, qui possédait la 208S portant le numéro de châssis BS523 - un exemplaire qui s'est vendu près d'un million de dollars lors d'une vente aux enchères en 2011.
Un héritage précieux et largement méconnu
Aujourd'hui, la Siata 208S représente l'un des secrets les mieux gardés de l'automobile italienne des années 50, et son influence dépasse largement sa notoriété.
Une cote qui s'envole
Longtemps restée dans l'ombre des grandes marques italiennes, la 208S est désormais pleinement reconnue par les collectionneurs les plus exigeants. Les rares exemplaires qui apparaissent sur le marché atteignent régulièrement des sommets vertigineux, dépassant parfois les 1,5 million d'euros comme ce fut le cas pour la 208S Spider numéro BS514, adjugée 1 567 500 dollars lors d'une vente aux enchères.
Cette valorisation tardive mais méritée s'explique non seulement par l'extrême rareté de la voiture (37 exemplaires seulement), mais aussi par sa qualité intrinsèque et son importance historique. Eligible aux plus prestigieux événements comme la Mille Miglia historique, la 208S est désormais considérée comme l'une des italiennes les plus désirables de sa génération.
L'inspiration britannique
L'influence de la 208S dépassa le cadre strict de sa production. Un fait peu connu mais fascinant concerne le constructeur britannique AC Cars, qui se serait largement inspiré des lignes du Spider italien pour créer sa célèbre AC Ace – celle-là même qui deviendrait plus tard la base de la légendaire Shelby Cobra.
Cette filiation esthétique, bien que rarement mentionnée, témoigne de l'impact qu'a pu avoir le design avant-gardiste de la Siata sur l'évolution des voitures de sport européennes. Une rumeur tenace évoque même des AC Ace qui auraient été "maquillées" en Siata 208S pour profiter de la cote croissante de l'italienne, bien que cette pratique n'ait jamais été formellement prouvée.
La Siata 208S incarne la quintessence de l'artisanat automobile italien des années 50 : une mécanique noble héritée du savoir-faire Fiat, sublimée par une carrosserie d'une élégance intemporelle et des performances qui n'ont pas à rougir face aux marques les plus prestigieuses. Si la marque Siata a définitivement fermé ses portes en 1970 après quelques autres créations comme la minuscule Mitzi ou la Spring aux allures de MG TD, son chef-d'œuvre absolu, la 208S, continue de faire vibrer le cœur des passionnés. Dans le concert des grands noms de l'automobile italienne, elle joue peut-être pianissimo, mais avec une mélodie d'une pureté incomparable.