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Porsche 914 : paria devenue icône

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Entre Volkswagen et Porsche, la 914 n'a jamais vraiment trouvé sa place... jusqu'à ce que le temps lui donne raison. Aujourd'hui, ce vilain petit canard à moteur central affole les enchères et fait rougir bien des 911.

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texte Mathias Pivert
photo Porsche

Imaginez une Porsche que personne ne voulait appeler Porsche. Une voiture trop chère pour être une Volkswagen, trop abordable pour séduire les puristes de Stuttgart. La 914, présentée au salon de Francfort en septembre 1969, incarnait ce paradoxe absolu : un modèle révolutionnaire par sa conception, mais condamné par son propre ADN hybride. Pourtant, un demi-siècle plus tard, cette orpheline de l'histoire automobile connaît une renaissance spectaculaire. Les exemplaires en état irréprochable atteignent désormais des sommets, tandis que la rarissime 914-6 franchit allègrement la barre des 100 000 €. Comment cette mal-aimée est-elle devenue l'une des Porsche les plus convoitées du moment ? Retour sur une saga automobile faite de compromis industriels, de prouesses techniques et de rédemption tardive.

Une collaboration contrariée par le destin

L'histoire de la 914 commence par une poignée de main et se termine par un malentendu colossal. Au milieu des années 1960, Porsche cherche à combler le vide laissé par l'arrêt de la 356, tandis que Volkswagen doit remplacer sa vieillissante Karmann Ghia. Ferry Porsche et Heinz Nordhoff, le charismatique patron de VW, scellent un accord informel : développer ensemble un modèle sportif à prix accessible, assemblé par Karmann à Osnabrück.

Le projet prévoit deux versions distinctes. La première, baptisée 914-4, recevrait le moteur quatre cylindres à plat de 1,7 litre développé par Volkswagen, délivrant 80 chevaux grâce à l'injection électronique Bosch. La seconde, plus ambitieuse, monterait d'un cran avec le six cylindres 2,0 litres emprunté à la 911T de première génération, offrant 110 chevaux. Cette 914-6 devait combler l'écart entre le modèle d'entrée et la gamme 911, désormais trop onéreuse pour les jeunes acheteurs.

Présentation au salon de Francfort 1969 - photo Porsche

Mais en 1968, Heinz Nordhoff décède brutalement sans avoir couché par écrit les termes de l'accord. Son successeur, Kurt Lotz, ignore tout de ce « gentleman's agreement » concernant notamment le prix des châssis. Résultat : Volkswagen facture les carrosseries de la 914-6 bien plus cher que prévu à Porsche. Sur le marché allemand, la facture s'envole à 19 980 Deutsche Marks pour la version six cylindres (environ 47 000 € actuels), contre 11 955 DM pour la quatre cylindres (28 000 €). Aux États-Unis, principal débouché du modèle, la 914-6 affiche 6 099 dollars en 1970 (soit environ 42 500 € actuels)... pour seulement 1 100 dollars (7 700 €) de moins qu'une 911T flambant neuve. Un positionnement tarifaire catastrophique qui condamnera le modèle à rester confidentiel.

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Le casse-tête de l'identité

Cette confusion des prix n'était rien comparée au chaos marketing qui s'ensuivit. Quelle marque devait figurer sur le capot : Volkswagen ou Porsche ? En Europe, on inventa une appellation hybride « VW-Porsche » qui ne trompa personne. La carte grise française mentionnait sobrement « VW type 47 » pour la 914-4, tandis que la 914-6 conservait son prestige Porsche. L'importateur français Sonauto proposa même des kits de préparation « Le Mans » et « Monte-Carlo » pour porter la puissance de la six cylindres à 150 chevaux, tentant ainsi de justifier son prix prohibitif.

Outre-Atlantique, le casse-tête fut résolu autrement : les deux versions furent commercialisées exclusivement sous le blason Porsche. L'idée d'associer la marque Volkswagen à un modèle sportif haut de gamme horrifiait les responsables américains, soucieux de préserver l'image « bon marché » qui avait fait le succès de la Coccinelle. Seule la Californie fit exception, vendant les 914 comme des Volkswagen pour des raisons fiscales obscures.

Profil de la 914, moins simple qu'une 911, n'est-ce pas ? - photo Porsche

Cette schizophrénie commerciale masquait pourtant une réalité technique fascinante. La 914 inaugurait une architecture à moteur central transversal inédite chez Porsche, héritée des prototypes de course comme la 904. Ce positionnement idéal du bloc offrait une répartition des masses quasi parfaite, théoriquement supérieure à celle de la 911 et de son moteur en porte-à-faux arrière. Avec ses 970 kg à vide pour la version quatre cylindres, la 914 promettait une agilité redoutable. Le magazine Motor Trend, séduit par ce cocktail explosif, lui décerna son premier titre « Import Car of the Year » en 1970, saluant « l'une des meilleures machines » jamais conduites par sa rédaction.

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Quand David affrontait Goliath

Si la 914-4 peinait à convaincre avec ses 13 secondes au 0 à 100 km/h, la 914-6 révélait un tout autre tempérament. Abattant l'exercice en 8,7 secondes et atteignant 210 km/h en pointe, elle plantait là les MG, Triumph et Alfa Romeo de l'époque. Mais Porsche avait des ambitions plus hautes pour sa benjamine : les circuits.

L'unique 914/6 achetée et transformée par Albrecht Graf von Goertz pour devenir un break de chasse - photo Porsche

Entre 1970 et 1971, l'usine construisit une douzaine de 914-6 GT en configuration course, complétées par 47 exemplaires clientèle. Ces machines de guerre recevaient le moteur Type 901/25 transformé : ports polis, double allumage, arbres à cames Carrera 6, carburateurs Weber 46 IDA. La puissance grimpait à 220 chevaux à 8 000 tr/min, logés dans une caisse élargie d'ailes acier et protégée par un arceau. Quatre imposants phares Cibié complétaient la panoplie du parfait guerrier de l'endurance.

La 914-8, restée à l'état de prototype, avec deux exemplaires existant - photo Porsche

Le baptême du feu eut lieu aux 24 Heures du Mans 1970, où une 914-6 GT s'adjugea la sixième place au général, devancée uniquement par des prototypes comme les Ferrari 512S et les Porsche 917K. Plus remarquable encore : elle remporta sa catégories, humiliant toutes les 911S engagées, y compris les autos officielles. Au rallye de Monte-Carlo 1971, trois 914-6 GT prirent le départ, mais l'édition s'avéra catastrophique avec 90 % d'abandons.

914 et 917 ont cohabité en piste, ici aux 24 Heures du Mans 1970 - photo Porsche

Ces exploits sportifs, bien que spectaculaires, ne suffirent pas à sauver la 914-6 de l'extinction commerciale. Après seulement 3 360 exemplaires produits entre 1969 et 1972, Porsche abandonna le modèle. La quatre cylindres poursuivit sa carrière jusqu'en 1976 avec des évolutions notables : moteur 1,8 litre puis 2,0 litres en 1973, transmissions améliorées. Au total, 115 646 exemplaires quatre cylindres trouvèrent preneur, faisant paradoxalement de cette Porsche « bâtarde » l'un des modèles les plus vendus de la marque durant cette période, devant la 911 elle-même.

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L'âge de la reconnaissance

Pendant des décennies, la 914 végéta dans l'ombre, méprisée par les puristes qui lui reprochaient ses origines Volkswagen et son esthétique controversée. Les prix stagnèrent honteusement bas : encore au début des années 2010, on trouvait des exemplaires roulants pour 3 000 à 6 000 dollars. Mais le vent a tourné.

Aujourd'hui, une 914-4 en état concours atteint allègrement 20 000 à 30 000 €, tandis que les 914-6 flirtent avec les 100 000 € pour les exemplaires irréprochables. Fin 2018, une 914-6 GT franchissait même cette barrière symbolique en vente aux enchères, validant définitivement le statut de collection du modèle.

La 914 et le Cayman ont des points communs techniques - photo Porsche

Cette réhabilitation s'explique par plusieurs facteurs. D'abord, la génération qui avait boudé la 914 dans les années 1970 a cédé la place à des collectionneurs plus jeunes, moins prisonniers des préjugés de l'époque. Ensuite, l'architecture à moteur central est redevenue tendance, valorisée pour ses qualités dynamiques intrinsèques. Enfin, la relative rareté de la 914-6 – moins de 3 400 exemplaires pour le monde entier – en fait mécaniquement un objet de convoitise pour les amateurs éclairés. J'imagine que vous commencez à avoir envie d'acheter une Porsche 914 !

Privilégiez les millésimes 1973-1976 pour les quatre cylindres, qui bénéficient du moteur 2,0 litres et d'une boîte améliorée. Pour la 914-6, les années 1970-1971 restent les plus recherchées, avec leur commutateur d'allumage spécifique positionné à gauche du tableau de bord, à l'image des 911. Attention toutefois à la corrosion : la construction Karmann utilisait des éléments de caisse bon marché, prompts à la rouille. Un exemplaire sain vaut tous les compromis budgétaires.

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