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Entre route et piste, le jalon historique de la Porsche 904 GTS

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Quand un constructeur doit choisir entre la route et le circuit, peut-il vraiment faire l'impasse sur l'un ou l'autre ? Porsche a définitivement tranché la question en 1964 avec la 904, dernière du nom à offrir ce luxe d'une double personnalité.

texte Mathias Pivert
photo Artcurial, Bonhams, Porsche, RM Sotheby's

La Porsche 904 Carrera GTS, produite entre 1963 et 1965, incarne parfaitement la transition de Porsche au mitan des années 60, devenue inévitable. Dernier modèle de la marque à recevoir le légendaire moteur quatre cylindres Fuhrmann et premier à adopter une carrosserie en plastique renforcé de fibres de verre, elle représente un tournant technologique et philosophique pour le constructeur de Stuttgart.

À une époque où les constructeurs devaient choisir entre performance pure et homologation routière, Porsche a brillamment réussi le pari de créer un véhicule capable d'exceller sur circuit tout en conservant une utilisation quotidienne possible.

Un contexte de développement audacieux

Au début des années 1960, Porsche se trouve à un carrefour stratégique. Si la 356 règne sur les routes et remporte des succès en compétition, la marque aspire à davantage : décrocher des victoires absolues dans les grands rendez-vous du sport automobile, notamment aux 24 Heures du Mans. Le projet 904 fut développé en 1963 comme successeur du projet 718, destiné à concourir dans la catégorie GT du championnat du monde des voitures de sport.

904 012, ayant appartenue à Robert Redford - photo Bonhams

L'homologation GT exigeait un minimum de 100 exemplaires produits selon le règlement FIA. Loin de voir cette contrainte comme un fardeau, Porsche y décèle une opportunité : créer un modèle suffisamment accessible pour séduire les pilotes privés tout en conservant un potentiel concurrentiel élevé. La demande des pilotes privés fut si importante qu'après les 100 véhicules initialement prévus, 16 exemplaires supplémentaires furent assemblés, portant la production totale à 116 unités. Cette réussite commerciale s'explique par un prix de vente particulièrement attractif pour l'époque : 29 700 marks allemands (environ 76 600 € en 2025).

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Une révolution technique et esthétique

Ferdinand Alexander Porsche, déjà responsable du style de la future 911, signe ici son dernier projet avant de se consacrer à d'autres horizons. Son design de la 904 privilégie l'efficacité aérodynamique sans sacrifier l'élégance. La carrosserie présente une petite surface frontale, rendant le véhicule insensible au vent de travers et sûr à contrôler même à haute vitesse.

Simple, la ligne de la 904 est d'une efficacité redoutable - photo Porsche

L'innovation majeure réside dans le choix des matériaux. Pour la première fois chez Porsche, la carrosserie externe utilise un plastique léger, de la résine polyester renforcée de fibres de verre fournie par BASF. Un compromis intelligent entre innovation et maîtrise des coûts. Plutôt que d'adopter un châssis tubulaire coûteux, Porsche opte pour un châssis à caissons conventionnel, plus léger et moins onéreux à produire, composé de deux longerons robustes reliés par plusieurs traverses soudées.

Détails de la partie arrière de la Porsche 904 - photo Porsche

La carrosserie fabriquée par Heinkel à Spire est collée et vissée au châssis, une technique qui améliore considérablement la rigidité structurelle. Cette approche hybride acier-plastique deviendra caractéristique des futures Porsche de compétition.

Le dernier souffle du moteur Fuhrmann

Si Porsche avait initialement prévu d'équiper la 904 du nouveau six cylindres de la 911, la marque décide finalement d'utiliser le moteur quatre cylindres boxer 2 litres type 587/3 éprouvé, provenant de la 356 Carrera 2. Cette décision pragmatique s'appuie sur des considérations logistiques : pour un modèle destiné à la vente internationale, il fallait garantir la disponibilité de pièces de rechange et l'expertise technique chez les mécaniciens.

Impression d'art 904 Carrera GTS par Ecurie Shop

Dans sa version série, le moteur 2 litres développe 155 ch à 6900 tr/min avec un taux de compression de 9,8:1, tandis que la version course porte la puissance à 180 ch à 7200 tr/min. L'architecture technique privilégie l'équilibrage : moteur en position centrale derrière les occupants, transmission à l'arrière, tandis que le réservoir de 110 litres, le radiateur d'huile et la roue de secours prennent place à l'avant pour optimiser la répartition des masses.

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Le choix d'une configuration moteur central représente alors une approche avant-gardiste pour un modèle homologué route. Associé au nouveau changement de vitesses à cinq rapports et au différentiel autobloquant ZF, le modèle de série atteint 252 km/h et accélère de 0 à 100 km/h en 5,5 secondes.

Un palmarès sportif remarquable

Dès ses premiers engagements, la 904 démontre sa polyvalence et son efficacité. Son premier engagement officiel a lieu aux 12 Heures de Sebring en mars 1964, où Lake Underwood et Briggs Cunningham pilotent le véhicule encore homologué en tant que prototype vers la neuvième place et la victoire de catégorie.

Châssis 904-036, victorieux aux 1000 km du Nürburgring dans sa catégorie en 1965 - photo RM Sotheby's

La consécration arrive rapidement avec la victoire absolue à la Targa Florio 1964, remportée par Antonio Pucci et Colin Davis, devançant leurs coéquipiers Gianni Balzarini et Herbert Linge. Le second succès au général de Porsche dans cette épreuve mythique après la victoire de la 718 GTR l'année précédente.

Targa Florio 1964, ici avec Herbert Linge au volant de la 904 n°84 - photo Porsche

Si la 904 ne peut rivaliser avec les Ferrari 250 GTO, 275P ou 330P plus puissantes, elle excelle dans sa catégorie. Aux 1000 km du Nürburgring 1964, Gerhard Koch et Ben Pon du Racing Team Holland décrochent la troisième place au général et la victoire en GT 2.0. La 904 tient sa promesse de permettre aux équipes privées de briller grâce à un matériel fiable et performant.

L'évolution technique et les variantes d'usine

Parallèlement aux modèles vendus à la clientèle privée, l'équipe d'usine développe des versions spécifiques : la 904/8 équipée du moteur huit cylindres boxer 2,2 litres type 771 développant 270 ch à 8600 tr/min, et la 904/6 recevant le six cylindres boxer 2 litres type 901/20 de 210 ch à 8000 tr/min.

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Incroyablement petite à observer la 904 GTS - photo Artcurial

Une variante particulière mérite une attention spéciale : le 904 Bergspyder de 1965, développé spécialement pour le championnat d'Europe de la montagne. Cette version découverte, surnommée « Kangourou » en interne à cause de sa tendance à bondir sur les routes de montagne, illustre l'approche expérimentale de Porsche. Plus de 120 kg plus léger que le coupé avec ses 570 kg, il conserve le châssis acier mais reçoit une carrosserie plastique ouverte spécifique.

L'année 1966 marque la fin de l'ère 904, remplacée par la 906 Carrera 6. Les derniers engagements officiels ont lieu aux 24 Heures de Daytona et aux 12 Heures de Sebring 1966, où George Follmer et Peter Gregg décrochent une dernière victoire de classe et la septième place au général.

La signature, Carrera GTS - photo RM Sotheby's

Cette passation de témoin n'est pas anodine : l'évolution de Porsche vers des machines de plus en plus spécialisées pour la compétition est logique. Alors que la 904 incarnait encore l'idéal de la voiture de sport polyvalente, utilisable aussi bien sur route qu'en circuit, ses successeurs privilégieront progressivement la performance pure.

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