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Maserati A6GCS : L'élégance italienne au service de la performance

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Avec seulement 67 exemplaires produits entre 1947 et 1955, l'A6GCS demeure aujourd'hui l'un des trésors les plus convoités du patrimoine automobile italien, symbole d'une époque où l'artisanat et la passion primaient sur la production de masse.

texte Mathias Pivert
photo Bonhams, Fiskens, Maserati, RM Sotheby's, Speed 8 Classics

Dans l'univers des voitures de sport italiennes de l'après-guerre, peu de modèles incarnent aussi parfaitement l'alliance entre performance et élégance que la Maserati A6GCS. Née en 1947 dans les ateliers de Modena, cette création représente l'aboutissement d'une vision : celle de construire une automobile capable de briller aussi bien sur les circuits que sur les routes de prestige.

De la course à la route

L'histoire de l'A6GCS débute dans une Italie en reconstruction, où Maserati doit réinventer son avenir. Après la guerre, la direction d'Adolfo Orsi prend une décision stratégique : l'avenir de la marque au Trident réside dans les voitures de route, mais sans abandonner totalement l'ADN de compétition qui fait sa réputation.

La dénomination A6GCS révèle toute la philosophie du projet. Le « A » rend hommage aux frères Maserati et plus particulièrement à Alfieri, le « 6 » désigne le moteur six cylindres, « G » pour Ghisa (fonte en italien), « C » pour Corsa (course) et « S » pour Sport. Cette nomenclature, initialement écrite A6G.CS, illustre l'ambition duale du modèle.

Chassis #2077 avec un design signé de la Carrozzeria Fiandri e Malagoli pour Sirio Sbraci, qui a roulé notamment aux Mille Miglia 1955 - photo Fiskens

Le premier exemplaire fait ses débuts lors de la mythique Mille Miglia 1947, pilotée par Luigi Villoresi. Bien que cette première sortie se solde par un abandon, elle marque le début d'une aventure exceptionnelle. Quelques mois plus tard, sur le circuit de Modena, Alberto Ascari offre à l'A6GCS sa première victoire, établissant d'emblée les bases d'un palmarès qui ne cessera de s'enrichir.

L'originalité de l'A6GCS réside dans sa conception modulaire. Contrairement aux voitures de course pures, elle peut aisément passer d'une configuration de circuit, avec des ailes amovibles et un poids plume de 580 kg, à une tenue plus civilisée pour la route. Cette polyvalence séduit immédiatement une clientèle fortunée en quête d'émotions authentiques.

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Quand l'ingénierie rencontre l'art

L'évolution technique de l'A6GCS témoigne de l'expertise grandissante de Maserati en matière de motorisation. Le cœur de la machine, un six cylindres en ligne de 2 litres, subit plusieurs métamorphoses au fil des années, chacune apportant son lot d'améliorations.

Le bloc moteur de l'A6GCS châssis 2065 - photo Bonhams

La première génération, produite de 1947 à 1952, développe entre 120 et 130 chevaux grâce à ses trois carburateurs Weber double corps. Le moteur, avec un taux de compression de 11:1, nécessite initialement un mélange benzine-alcool, révélateur de ses ambitions sportives. Le bloc-moteur en fonte (ghisa) s'associe à une culasse en alliage d'aluminium, préfigurant les solutions techniques modernes.

L'auto a été ainsi engagée aux Mille Miglia - photo Fiskens

L'année 1953 marque un tournant avec l'arrivée de Gioacchino Colombo, l'ingénieur légendaire qui a notamment œuvré chez Alfa Romeo et Ferrari. Sous son impulsion naît l'A6GCS/53, version ultime du modèle équipée d'un moteur à double arbre à cames en tête développant 170 chevaux à 7 300 tr/min. Cette puissance remarquable, associée à un poids contenu grâce au châssis tubulaire Gilco, permet d'atteindre une vitesse de pointe de 235 km/h.

La transmission s'effectue par une boîte manuelle à quatre rapports, tandis que la suspension avant à double triangulation et l'essieu rigide arrière à ressorts à lames garantissent un comportement routier exemplaire pour l'époque. Les imposants freins à tambours, logés dans des jantes Rudge-Whitworth de 16 pouces, assurent un freinage à la hauteur des performances.

Habillée par des carrossiers de génie

Si la mécanique de l'A6GCS impressionne, c'est sans compter sur l'habillage confié aux plus grands carrossiers italiens. Chaque exemplaire devient une œuvre d'art unique, reflet du savoir-faire artisanal transalpin.

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Medardo Fantuzzi signe la majorité des carrosseries, créant des lignes fluides et racées qui définissent l'esthétique du modèle. Ses réalisations, reconnaissables à leur museau effilé et leurs ailes intégrées, incarnent l'essence même du sport automobile italien.

Le Trident, arbore fièrement - photo Maserati

Mais c'est Pininfarina qui livre les exemplaires les plus spectaculaires avec la Berlinetta dessinée par le jeune Aldo Bravarone en 1953. Cette création, présentée au Salon de Turin en 1954, représente la dernière collaboration entre Maserati et le célèbre carrossier turinois. Seuls quatre exemplaires voient le jour, chacun légèrement différent, tous reconnus aujourd'hui comme des chefs-d'œuvre de l'automobile.

A6GCS Berlinetta, la dernière Maserati habillée par Pininfarina - photo Speed 8 Classics

L'idée de cette Berlinetta naît d'une demande du concessionnaire romain Guglielmo Dei, soucieux d'offrir à sa clientèle sportive un confort supérieur, notamment par mauvais temps. Le résultat dépasse toutes les attentes : des lignes d'une pureté absolue, une silhouette qui semble défier les lois de la physique, et une élégance intemporelle qui fait de ces quatre exemplaires les Maserati les plus recherchés au monde.

Celestino Fiandri, Frua et Vignale complètent ce panthéon de créateurs, chacun apportant sa vision personnelle de l'excellence automobile. Cette diversité de carrossiers explique en partie la fascination qu'exerce aujourd'hui l'A6GCS : aucun exemplaire ne ressemble exactement à un autre.

40 victoires au palmarès

Sur les circuits, l'A6GCS écrit l'une des pages les plus glorieuses de l'histoire Maserati. Avec 40 victoires comptabilisées entre 1947 et 1961, elle s'impose comme l'une des voitures de sport les plus titrées de tous les temps.

Les succès s'enchaînent dès 1953 avec la nouvelle version technique. Sergio Mantovani et Juan Manuel Fangio signent un doublé remarqué à la Targa Florio, ne s'inclinant que face à la Lancia D20 d'Umberto Maglioli. Les victoires aux courses de Caserta et Bressuire confirment le potentiel exceptionnel de la machine.

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Luigi Musso, pilote d'exception, remporte avec l'A6GCS le championnat italien des 2 litres en 1954, démontrant la constance et la fiabilité du modèle. Ces succès ne sont pas le fruit du hasard : ils résultent d'un équilibre parfait entre puissance, tenue de route et résistance, qualités essentielles en compétition.

Maserati A6GCS/53 Spyder carrossée par Fantuzzi - photo RM Sotheby's

La longévité sportive de l'A6GCS impressionne également. Engagée pour la dernière fois à la Targa Florio 1961, soit quatorze ans après ses débuts, elle témoigne d'une conception intemporelle qui transcende les modes techniques.

Incroyable exemplaire de Maserati A6GCS carrosserie Fiandri & Malagoli - photo RM Sotheby's

Aujourd'hui, posséder une Maserati A6GCS relève du privilège absolu. Les 67 exemplaires authentiques, dont la plupart ont survécu, atteignent des sommes vertigineuses lors des ventes aux enchères. En 1996, le châssis 2059 s'adjuge 3,7 millions de dollars, établissant un record pour une Maserati d'avant-guerre qui illustre la vénération dont jouit ce modèle.