Dans le tumulte des années 1930, alors que le monde de la course automobile s'embrasait sous la domination germanique, une petite écurie italienne relevait le défi avec une arme redoutable : la Maserati 6CM. Présentée en 1936, cette monoplace destinée à la catégorie Voiturette (cylindrée limitée à 1,5 litre) n'était pas seulement une évolution technique, mais une véritable révolution dans la stratégie des frères Maserati. Face aux géants Mercedes-Benz et Auto Union soutenus par le régime nazi, la petite manufacture de Bologne allait démontrer que l'ingéniosité italienne pouvait encore triompher. Entre 1936 et 1939, les 27 exemplaires produits ont écrit parmi les plus belles pages de l'histoire de Maserati, marquant l'apogée de l'ère pré-guerre du constructeur au trident.
Les origines d'une légende
L'héritage de la 4CM et le contexte compétitif
La Maserati 6CM naît dans un contexte particulier de l'histoire du sport automobile. La catégorie Grand Prix était alors dominée par les constructeurs richement financés comme Mercedes-Benz et Alfa Romeo, laissant peu de chances aux structures plus modestes. Les frères Maserati, entrepreneurs aussi passionnés que pragmatiques, décidèrent de concentrer leurs efforts sur la classe Voiturette, plus accessible aux pilotes privés qui constituaient leur clientèle principale.
La 4CM, avec son moteur quatre cylindres, avait déjà prouvé son potentiel, mais la concurrence féroce des ERA britanniques la rendait obsolète. Comment rester compétitif face à cette nouvelle menace ? La réponse des ingénieurs italiens fut magistrale : s'inspirer de leur projet le plus ambitieux, la V8RI de Grand Prix, pour créer une voiture de classe inférieure mais dotée d'une technologie supérieure.
La révolution technique sous le capot
L'innovation majeure de la 6CM résidait dans son architecture avant-gardiste. Si son châssis tubulaire s'inspirait de celui de la 4CM, la suspension avant indépendante à barres de torsion marquait une première chez Maserati pour une voiture de cette catégorie. Ce choix technique, emprunté à la V8RI, offrait un comportement dynamique supérieur dans les virages, atout considérable sur les circuits sinueux européens.
L'arrière, quant à lui, conservait un essieu rigide plus léger et moins complexe, illustrant parfaitement le pragmatisme des frères Maserati. Pourquoi s'encombrer d'une suspension sophistiquée là où elle n'apportait pas d'avantage décisif ?
Au cœur de la bête : technique et performances
Un six cylindres rugissant
Le moteur de la 6CM représentait l'essence même du savoir-faire Maserati. Ce bloc en ligne de 1,5 litre disposait de caractéristiques exceptionnelles pour l'époque : six cylindres, double arbre à cames en tête, deux soupapes par cylindre et un compresseur couplé à un carburateur Weber 55ASI. Une mécanique sophistiquée qui délivrait initialement 155 chevaux à 6200 tr/min en 1936, pour atteindre 175 chevaux à 6600 tr/min dans sa version finale de 1939.
Ce cœur mécanique, directement accouplé à une boîte de vitesses à quatre rapports, permettait d'atteindre plus de 220 km/h - une performance remarquable pour l'époque. Les récits des témoins évoquent la sonorité distinctive de ce six cylindres suralimenté : un hurlement métallique qui montait en crescendo, annonçant l'arrivée des bolides rouge Maserati bien avant qu'ils n'apparaissent dans le champ de vision.
Châssis et carrosserie : l'art au service de la vitesse
La carrosserie, œuvre du talentueux Medardo Fantuzzi, illustrait parfaitement la philosophie italienne où l'esthétique se met au service de l'efficacité. Le long capot effilé, terminé par la calandre Maserati caractéristique, s'étirait vers un habitacle minimaliste, puis s'achevait en pointe à l'arrière où courait l'échappement sur toute la longueur de la voiture. On est loin d'un Grecale, hein !
Avec un poids plume d'environ 650 kg, la 6CM offrait un rapport poids/puissance exceptionnel. Les freins à tambours à ailettes assuraient un freinage efficace, complétés par les amortisseurs à friction Maserati et les ressorts à lames semi-elliptiques à l'arrière. Les dimensions de 3,72 mètres de long pour 1,48 mètre de large et seulement 1,2 mètre de haut soulignaient sa vocation : fendre l'air avec une résistance minimale.
Une carrière sportive exceptionnelle
Les triomphes en compétition
Dès son apparition au milieu de la saison 1936, la 6CM s'imposa comme la voiture à battre dans sa catégorie. Le comte Carlo Felice Trossi, pilote italien aussi talentueux qu'aristocratique, remporta avec elle de nombreuses victoires cette année-là, notamment au Nürburgring sous une pluie battante - démonstration éclatante des qualités de tenue de route de la monoplace italienne.
La couronne du championnat italien des voitures de 1500 cc tomba logiquement dans l'escarcelle de Trossi, consacrant l'excellence de la création des frères Maserati. Les années suivantes, Luigi Villoresi prit le relais avec brio, établissant notamment un record lors de sa victoire au Targa Florio 1939, avec un tour le plus rapide à la moyenne impressionnante de 141,908 km/h.
L'héritage international
La 6CM ne brilla pas seulement en Italie mais conquit l'Europe entière. Des gentlemen drivers anglais comme Lord Howe, Johnny Wakefield et Austin Dobson en firent l'acquisition, tandis que des écuries privées prestigieuses comme la Scuderia Ambrosiana ou l'Ecurie Helvetica alignaient également des 6CM.
L'une des anecdotes les plus savoureuses concerne sa présence inattendue aux 500 Miles d'Indianapolis en 1939. Bien que plus petite que toutes ses concurrentes américaines, la 6CM impressionna suffisamment pour qu'un certain Wilbur Shaw commande une Maserati 8CTF - voiture avec laquelle il remportera ensuite l'épreuve en 1939 et 1940, offrant à Maserati une renommée internationale inédite.
Aujourd'hui, les rares exemplaires survivants sont chéris comme des trésors inestimables, régulièrement engagés dans les événements historiques prestigieux comme Goodwood, Silverstone ou Monaco Historique. C'est d'ailleurs une Maserati 6CM qui était, encore, la plus ancienne auto lors du Hockenheim Historic 2025.