Dans la grisaille ouvrière de Sheffield en 1977, un garçon de 10 ans découvre une vision qui changera sa vie. Au Salon de l’automobile de Londres à Earl’s Court, Magnus Walker pose les yeux sur une Porsche 911 ornée de rayures bleues et rouges. « J’ai tout de suite su que j’avais trouvé la voiture de mes rêves » confie-t-il des décennies plus tard, sa voix teintée d’un accent britannique adouci par trente ans passés en Californie. Dans une ville où ne circulaient que camions et tracteurs, cette silhouette racée incarnait tout ce que le jeune Magnus ignorait encore : la liberté, l’individualité, le refus des conventions. Quelques jours après cette révélation, l’enfant écrit à Porsche pour demander un emploi. La réponse de Stuttgart arrive rapidement, bienveillante : finissez vos études, puis revenez vers nous. Mais Magnus Walker n’a jamais été du genre à suivre les routes toutes tracées.
La trajectoire d’un marginal assumé
En 1982, Magnus Walker abandonne l’école. Il a 15 ans et pressent que l’éducation formelle ne lui apportera pas ce qu’il cherche. Il plonge dans les scènes punk rock et heavy metal britanniques, se forge une identité en marge, loin des sentiers convenus. « Si tout le monde aime ton look, c’est que tu fais fausse route » deviendra l’un de ses mantras. Quatre ans plus tard, convaincu que l’Angleterre ne lui offre aucune perspective, il s’envole pour les États-Unis avec un simple job d’été dans un camp au nord de Detroit. L’aventure commence mal : quelques semaines seulement après son arrivée, son visa de tourisme expire. Mais comme l’explique la philosophie « Urban Outlaw » qu’il développera plus tard, « quand tu sens bien les choses, lance-toi ».

Direction Los Angeles. Magnus Walker s’installe à Venice Beach avec une idée simple : transformer des vêtements de seconde main achetés dans les friperies en pièces uniques qu’il revendra sur un stand. Sa mère Linda lui a appris à coudre enfant, talent qui va désormais nourrir son rêve américain. Un jour, le chanteur Taime Downe du groupe Faster Pussycat remarque un pantalon que Magnus vient de retoucher pour 10 dollars. Il lui en commande huit paires à 25 dollars pièce. Le stand de Venice Beach devient vite trop étroit.
L’empire Serious
Avec sa compagne Karen Caid, styliste qui abandonne sa propre marque Hooch pour rejoindre l’aventure, Magnus crée Serious. Le tandem fonctionne : elle apporte son sens flamboyant du design, lui son intuition pour choisir les matières. Le succès dépasse leurs espérances. Madonna, Alice Cooper, Bruce Willis portent leurs créations. Pour accompagner cette croissance, le couple acquiert une usine délabrée dans l’Arts District de Los Angeles, qu’ils transforment en atelier de fabrication. Le lieu devient rapidement prisé par l’industrie du divertissement : Bruce Willis, Victoria Beckham, Jay-Z et Prince y tournent des publicités, des films et des clips musicaux. « L’idée même de devoir revenir en Angleterre sans avoir réussi m’était proprement insupportable » se souvient Magnus Walker.
Le retour aux origines : la première Porsche
À 25 ans, en 1992, Magnus Walker franchit un cap symbolique. Il achète sa première Porsche 911, modèle 1974, pour 7 500 dollars. « Je considère encore aujourd’hui cette acquisition comme un formidable succès sur le plan personnel » confie-t-il dans le magazine Christophorus. Dix-sept ans après avoir découvert cette silhouette à Earl’s Court, le rêve d’enfant prend forme. Mais ce n’est qu’un début. En 2002, il rejoint le Porsche Club of America et commence à participer à des événements. Sa collection s’étoffe progressivement, rassemblant des exemplaires représentant chaque étape de l’évolution de la 911 à travers les décennies.
Chaque 911 qui entre dans son garage ressort transformée en pièce unique, portant la marque distinctive du style Magnus Walker. Jantes larges, suspensions abaissées, détails personnalisés : ses créations divisent.
Pourtant, Magnus Walker n’est pas un collectionneur ordinaire. « Une Porsche 911 neuve sortant du showroom ne m’a jamais attiré. J’ai toujours eu un amour pour les objets anciens » explique-t-il dans le magazine américain Hemmings Classic Car, résumant cette philosophie qui place l’âme avant la perfection. Là où d’autres cherchent la perfection d’origine, l’authenticité certifiée, il impose sa vision personnelle.

Fort de son expérience dans la mode, il refuse les règles non écrites de la restauration automobile classique. Chaque 911 qui entre dans son garage ressort transformée en pièce unique, portant la marque distinctive du style Magnus Walker. Jantes larges, suspensions abaissées, détails personnalisés : ses créations divisent. « Une voiture est faite pour rouler » martèle-t-il à ceux qui s’offusquent des éraflures et des marques d’usage sur ses machines. Pour lui, ces traces sont la preuve d’une vie pleinement vécue, pas des cicatrices à effacer.
La philosophie « Urban Outlaw »
Ce rapport décomplexé à l’automobile de collection trouve son expression dans le terme « Urban Outlaw », hors-la-loi urbain. Magnus Walker incarne cette figure du marginal assumé qui refuse de se conformer. Ses dreadlocks parsemées d’argent, ses jeans déchirés, ses avant-bras couverts de tatouages témoignent d’une existence menée « tambour battant », selon les mots du magazine Christophorus. Dans son hangar rénové du centre de Los Angeles, une quarantaine de Porsche 911 refroidies par air cohabitent. Certaines sont prêtes à rugir sur la route, d’autres attendent patiemment leur transformation. « Je suis un collectionneur obsessionnel qui a l’espace et le temps nécessaire pour ses voitures » confie-t-il au magazine allemand PORSCHE FAHRER, assumant pleinement cette passion dévorante.

Cette approche non conventionnelle trouve son aboutissement en 2012, lorsque le cinéaste canadien Tamir Moscovici réalise un court-métrage documentaire intitulé Urban Outlaw. Présenté au Raindance Film Festival de Londres, le film propulse Magnus Walker sur le devant de la scène automobile mondiale. Du jour au lendemain, ce marginal devient une figure publique, invité dans les plus grands événements, courtisé par les magazines spécialisés. En 2013, il expose ses créations au Salon de l’automobile de Los Angeles. Des responsables de Porsche viennent observer son travail. Nick Twork, porte-parole de la marque, déclare avec une prudence mesurée : « Nous ne pouvons pas aller jusqu’à dire que nous cautionnons son travail. C’est assez difficile pour une entreprise comme la nôtre de le dire, mais ses voitures ont un style unique, et nous avons remarqué ». Pour Magnus Walker, la reconnaissance institutionnelle arrive trois décennies et demie après sa lettre d’enfant à Stuttgart.
L’impact sur la scène youngtimer
L’influence de Magnus Walker dépasse largement ses propres créations. En brisant les codes rigides de la restauration automobile, il ouvre la voie à une nouvelle génération de passionnés qui refusent le conformisme. Les années 2010 voient émerger une scène youngtimer transformée, où la personnalisation n’est plus un sacrilège mais une forme d’expression légitime. Des collectionneurs du monde entier commencent à regarder différemment ces Porsche 911 des années 1960 et 1970, modèles longtemps considérés comme moins désirables que leurs descendantes modernes.
En 2015, Magnus Walker devient un personnage jouable dans le jeu vidéo Need for Speed, cimentant son statut d’icône culturelle au-delà du seul monde automobile.
Le marché réagit spectaculairement. Une de ses créations, la 911 STR II qui a fait la couverture du magazine Road & Track, se vend plus de 300 000 dollars à Bob Ingram, autre collectionneur Porsche de renom.

Cette transaction illustre un principe fondamental de la philosophie Walker : « Fais affaire uniquement avec ceux qui partagent ta passion ». En 2015, Magnus Walker devient un personnage jouable dans le jeu vidéo Need for Speed, cimentant son statut d’icône culturelle au-delà du seul monde automobile. La même année, il participe au podcast The Joe Rogan Experience, touchant des millions d’auditeurs. En 2014, son intervention TEDx intitulée « Go With Your Gut » franchit les 9,5 millions de vues.
La consécration commerciale
La marque Hot Wheels crée plus de 25 miniatures à son effigie, incluant plusieurs variations de sa voiture signature, la « 277 », une Porsche 911 T de 1971 qui symbolise parfaitement son approche.

En 2021, Nike collabore avec lui pour une édition limitée de la Nike SB Dunk High. La basket reprend les codes de la 277 : numérotation sur le talon, découpe des couleurs rappelant la carrosserie, finition dorée sous une couche de peinture blanche qui s’efface avec l’usure. Même la doublure intérieure en flanelle rouge et vert fait référence à l’univers « Urban Outlaw ». Magnus Walker devient aussi le premier personnage non-pilote professionnel à avoir sa propre ligne de volants MOMO.

En 2017, son autobiographie Urban Outlaw: Dirt Don’t Slow You Down atteint les listes des meilleures ventes britanniques dans la catégorie automobile. Le livre retrace son parcours, « depuis la grisaille de la cité ouvrière anglaise de Sheffield jusqu’aux rivages lumineux de Californie ». Publié pour ses cinquante ans, l’ouvrage fait écho à une période de réflexion profonde pour Magnus Walker. En 2015, Karen Caid, sa compagne de vingt-et-un ans et co-fondatrice de Serious, décède. Cette disparition le plonge dans une « phase contemplative ». « Je n’ai plus envie de développer mon business. Je veux découvrir des choses entièrement nouvelles » confie-t-il.
Le collectionneur face au temps qui passe
À cinquante ans passés, Magnus Walker incarne ce paradoxe : l’éternel rebelle qui doit composer avec la maturité. Mais loin de céder aux tentations conventionnelles de son âge – résidence secondaire, golf, stages d’œnologie –, il maintient le cap. « Je n’étais pas du genre à faire ce qu’on attendait de moi étant jeune, et je n’ai pas changé » affirme-t-il. Son rapport aux Porsche 911 évolue cependant. S’il garde rarement ses créations, considérant que « chaque jour est une course, ne serait-ce que contre soi-même », il accorde désormais plus d’importance aux expériences qu’aux acquisitions.
La route continue
Son prochain projet ? Parcourir la mythique Panaméricaine au volant d’une 911, course légendaire qui traversait le continent américain de l’Alaska à la Terre de Feu entre 1950 et 1954. Cette ambition révèle la permanence de son désir d’aventure. En 2024, il épouse Hannah Elliott, journaliste pour Bloomberg Businessweek, ouvrant un nouveau chapitre personnel. Mais l’essence même de Magnus Walker demeure inchangée : ce refus viscéral de la conformité, cette conviction que « pour ceux qui se jouent des conventions, tout est possible » comme il l’écrit dans son autobiographie.

Ses Porsche 911 continuent d’occuper le hangar de l’Arts District, témoins d’une trajectoire singulière. Celle d’un enfant de Sheffield fasciné par une voiture aperçue à un salon, devenu créateur de mode à Los Angeles, puis collectionneur célèbre malgré lui. Ou plutôt grâce à lui, grâce à cette capacité rare à transformer l’obsession en art, la marginalité en style, le rêve en réalité palpable.
Magnus Walker fréquente moins son garage aujourd’hui, se contentant d’échanger avec ses collaborateurs quand nécessaire. Ses Porsche 911 continuent d’occuper le hangar de l’Arts District, témoins d’une trajectoire singulière. Celle d’un enfant de Sheffield fasciné par une voiture aperçue à un salon, devenu créateur de mode à Los Angeles, puis collectionneur célèbre malgré lui. Ou plutôt grâce à lui, grâce à cette capacité rare à transformer l’obsession en art, la marginalité en style, le rêve en réalité palpable.


