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Lotus 340R, la Seven réinventée pour l’an 2000

Marques et modèles cultes

Avec sa silhouette d’insecte sculpté dans l’aluminium et son absence totale de concessions au confort, la Lotus 340R de l’an 2000 poussa le minimalisme britannique jusqu’à l’extrême.

texte Mathias Pivert
photo Lotus

Birmingham, octobre 1998. Sous les néons du Motor Show, les visiteurs s’arrêtent médusés devant une créature venue d’un autre monde. Là où les stands rivalisent de concepts-cars aux lignes torturées et d’écrans plasma vantant des technologies futures, Lotus expose une sculpture roulante qui semble avoir été dessinée par un ingénieur aéronautique ayant décidé d’ignorer un siècle de conventions automobiles. Pas de toit, pas de portes, pas même de pare-brise digne de ce nom. Juste un châssis d’aluminium exposé comme une œuvre d’art, surmonté de deux baquets et d’un arceau évoquant les monoplaces des années soixante.

Le concept s’appelle 340R, un nom qui résume à lui seul l’obsession des ingénieurs de Hethel : atteindre le ratio mythique de 340 chevaux par tonne, ce Graal du rapport poids-puissance que même les supercars de l’époque peinaient à approcher. Ce qui n’était qu’une démonstration de savoir-faire allait, devant l’enthousiasme du public, devenir réalité. En janvier 2000, les premières 340R de série quittaient l’usine du Norfolk. Les 340 exemplaires prévus étaient déjà tous vendus avant même le début de la production : 70 acheteurs avaient versé un acompte de 3 500 £, soit 10 % du prix, dès la présentation du prototype.

L’héritage de Colin Chapman, poussé dans ses derniers retranchements

Pour comprendre la 340R, il faut remonter aux fondements même de la philosophie Lotus. Colin Chapman, fondateur de la marque en 1952, avait érigé un principe en dogme absolu : « Simplify, then add lightness » – simplifier, puis alléger encore. Là où ses concurrents ajoutaient des chevaux pour aller plus vite, Chapman retirait des kilos. La Seven, lancée en 1957, incarnait cette vision jusqu’à la caricature : une voiture réduite à l’essentiel, quatre roues, un moteur, un volant, et rien de superflu.

La face avant, digne d’un insecte ! – photo Lotus

Quarante ans plus tard, l’Elise de 1996 avait repris le flambeau avec son châssis révolutionnaire en aluminium collé-riveté, pesant à peine 68 kilogrammes. La 340R allait pousser cette logique encore plus loin, en partant de la base technique de l’Elise pour créer quelque chose de radicalement différent. Comme le soulignait L’Automobile Magazine dans son essai de juillet 2000, cette barquette n’avait « qu’un seul but dans sa vie de sportive : offrir de très fortes sensations ». À une époque où l’industrie automobile découvrait l’airbag passager et la climatisation automatique, Lotus proposait une voiture sans portes, sans chauffage, et dont les rétroviseurs provenaient… d’une moto Aprilia.

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À une époque où l’industrie automobile découvrait l’airbag passager et la climatisation automatique, Lotus proposait une voiture sans portes, sans chauffage, et dont les rétroviseurs provenaient… d’une moto Aprilia.

Cette filiation spirituelle avec la Seven n’échappa pas aux observateurs de l’époque. Le magazine britannique EVO nota que les Lotus avaient « toujours fait d’excellentes voitures de course de côte, étant si légères et agiles qu’elles embarrassent souvent des machines bien plus puissantes ». La Seven et ses variantes avaient d’ailleurs connu un tel succès en compétition que les organisateurs avaient fini par leur créer une catégorie à part. L’Elise, à son arrivée, avait subi le même sort : reléguée en « Modified Production Class » tant elle dominait les épreuves. La 340R semblait destinée à perpétuer cette tradition d’excellence embarrassante.

Un design qui ne ressemblait à rien de connu

La 340R appartient à cette catégorie rare d’automobiles dont le dessin semble avoir précédé toute considération pratique. Vue de profil, elle évoque un exosquelette mécanique, une architecture apparente où chaque élément structural devient ornement. Les roues, positionnées à l’extérieur de la carrosserie, lui confèrent une présence visuelle démesurée par rapport à ses dimensions réelles. Avec ses 3,62 mètres de long et son mètre douze de haut au sommet de l’arceau croisé, elle était plus courte qu’une Renault Clio de l’époque – 3,77 mètres pour la citadine française.

Les flancs translucides en plastique, qui laissent entrevoir les bras du conducteur, rappellent moins l’automobile traditionnelle que les créations de Ross Lovegrove ou de Luigi Colani, ces designers industriels fascinés par les formes organiques et la transparence des structures. On pense aussi aux montres squelettes de l’horlogerie contemporaine, où le mécanisme devient spectacle. L’énorme aileron arrière en carbone, monté sur des supports tubulaires, n’est pas qu’une afféterie stylistique : combiné au diffuseur et à l’imposant extracteur, il génère un appui aérodynamique si conséquent qu’on peut le comparer à un aérofrein tant la décélération est brutale.

Un exosquelette mécanique – photo Lotus

L’habitacle poursuit cette logique de dépouillement radical. L’arceau de sécurité croisé, réminiscence des biplaces de course d’antan, supporte une arche métallique sur laquelle sont greffés deux compteurs ronds façon moto. Les sièges baquets en carbone et Alcantara bleu électrique – une teinte qui deviendra iconique – sont équipés de harnais quatre points Schroth. Point de coffre : le passager voyage avec ses bagages entre les jambes. L’accès au poste de conduite impose d’enjamber la carrosserie puis de se glisser dans le baquet réglable avant de boucler son harnais – une procédure qui évoque davantage l’embarquement dans une monoplace que la prise en main d’une voiture de route.

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Ce design avant-gardiste n’était pas qu’un exercice de style : comme le souligne Lotus Cars dans sa rétrospective officielle, « le langage design futuriste de la 340R a ouvert la voie à la direction stylistique de l’Elise Series 2 ». Ce qui passait pour une provocation devint une référence, influençant toute la production de la marque dans les années 2000.

La quête obsessionnelle du chiffre magique

Le nom 340R ne devait rien au hasard. Le cahier des charges initial visait un rapport poids-puissance de 340 chevaux par tonne, un objectif qui supposait de maintenir le poids aux alentours de 500 kilogrammes. La réalité des contraintes d’homologation et de production porta finalement la masse à 701 kg sur la balance, avec un moteur développant 177 chevaux en configuration standard. Le ratio tombait à 255 ch/tonne – honorable, mais loin du mythe annoncé.

La réalité des contraintes d’homologation et de production porta finalement la masse à 701 kg sur la balance, avec un moteur développant 177 chevaux en configuration standard. Le ratio tombait à 255 ch/tonne – honorable, mais loin du mythe annoncé.

C’est ici que le catalogue d’options Lotus prenait tout son sens. Pour les puristes désireux d’atteindre le Graal des 340 ch/tonne, l’usine proposait le Track Pack à 3 085 £. Cet ensemble comprenait un calculateur reprogrammé libérant 195 chevaux (avec rupteur repoussé à 8 000 tr/min), des sièges en fibre de carbone, un réservoir allégé en aluminium, une batterie de course, un arceau simplifié, un pare-brise en polycarbonate et un kit de reniflard moteur. Le poids descendait à 571 kg, le ratio atteignait enfin sa cible. Comme le détaille méticuleusement le site spécialisé 111racers.com, la liste des options ressemblait à un catalogue d’équipementier motorsport : boîte séquentielle à six rapports hélicoïdaux (9 995 £), amortisseurs Eibach à bonbonnes déportées (4 799 £), jantes Tecnomagnesio en magnésium à fixation centrale (3 299 £), ou encore un silencieux sport en titane flammé (799 £).

Le volant à droite (RHD), majoritaire sur les 340R – photo Lotus

Le moteur, un quatre-cylindres 1,8 litre Rover série K dans sa version VHPD (Very High Power Derivative), était le même bloc que celui de l’Elise Sport 190, mais bridé à 177 chevaux pour satisfaire aux normes d’homologation. Ce compromis n’entamait guère les performances : L’Automobile Magazine relevait un 0 à 100 km/h en 4,2 secondes et une vitesse maximale de 218 km/h. « Malgré le couple haut perché du quatre cylindres (171 Nm à 5 000 tr/min), la 340R reste assez vivante à bas et mi-régimes », notait l’essayeur. « Vraiment génial, d’autant que la 340R se comporte comme une véritable voiture de course. »

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Une production aussi exclusive que chaotique

L’histoire administrative de la 340R illustre parfaitement le charme artisanal – certains diraient l’amateurisme attachant – de Lotus à cette époque. Le plan initial prévoyait exactement 340 exemplaires, un clin d’œil au ratio poids-puissance visé. La réalité fut légèrement différente. Les archives de rappels techniques révèlent 341 numéros de châssis, certains apparaissant en double avec des configurations différentes (conduite à gauche et à droite, ou chiffres de contrôle divergents).

Sur cette production, 219 exemplaires furent configurés en conduite à droite (RHD), dont 170 pour le marché britannique, 42 pour le Japon et 3 pour l’Australie. Les 121 restants, en conduite à gauche (LHD), se répartirent entre l’Europe continentale et une poignée d’unités destinées aux États-Unis. Ces dernières, au nombre de 11, furent immatriculées comme véhicules de course uniquement, la 340R ne répondant pas aux normes fédérales américaines.

Lotus 340R proposée aux enchères – photo Bonhams

La France reçut officiellement 10 exemplaires neufs via le réseau des sept concessionnaires agréés, tous vendus avant même leur arrivée. Au prix catalogue de 376 250 francs (57 359 €), la 340R coûtait 40 000 francs de plus qu’une Porsche Boxster S de 252 chevaux. Mais comme le soulignait L’Automobile Magazine, son rapport poids-puissance de 3,9 kg/ch surpassait celui de la 911 de 300 chevaux (4,6 kg/ch). Pour les Britanniques, elle s’affichait à 35 000 £ – une somme considérable pour une voiture sans portes ni chauffage.

La 340R occupe une place singulière dans le panthéon Lotus. Elle ne fut jamais la plus rapide, ni la plus aboutie techniquement.

Vingt-cinq ans après sa présentation, la 340R occupe une place singulière dans le panthéon Lotus. Elle ne fut jamais la plus rapide, ni la plus aboutie techniquement – l’Exige, dérivée de l’Elise avec un toit fixe, lui succéda dès 2000 avec des performances supérieures. Mais aucune Lotus moderne n’incarna avec autant de radicalité la philosophie originelle de Colin Chapman.

340R vendue plus de 70 000 € – photo Moteur & Sens

La plupart des 340R survivantes ont aujourd’hui quitté la route pour les circuits ou les collections. Leur valeur a considérablement augmenté : les exemplaires en bon état se négocient entre 80 000 et 120 000 € selon leur historique et leur numéro. Certains propriétaires ont remplacé le fragile moteur Rover par des blocs Honda plus fiables, une modification qui divise les puristes. D’autres ont conservé leur voiture dans une configuration strictement d’origine, la sortant quelques fois par an pour des rassemblements ou des journées circuit.