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Lancia LC2 : Quand l'Italie rêvait de faire trembler Porsche

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Elle avait tout pour réussir : la beauté italienne, la puissance Ferrari et l'expertise Dallara. Pourtant, la Lancia LC2 restera comme l'une des plus belles désillusions de l'endurance des années 1980.

texte Mathias Pivert
photo Girardo & Co / RM Sotheby’s / Peter Auto

Dans l'univers impitoyable des Group C, où Porsche régnait en maître absolu avec ses redoutables 956, l'Italie nourrissait un rêve fou : celui de renverser l'hégémonie allemande. Ce défi audacieux, Lancia l'a relevé avec la LC2, un prototype d'exception né de la collaboration entre trois légendes du sport automobile italien.

Dévoilée en février 1983, cette « Ferrari Lancia » – son nom officiel selon la réglementation Group C qui donnait priorité au motoriste – incarnait l'excellence technique transalpine : un châssis signé Gianpaolo Dallara, habillé de la livrée mythique Martini Racing, et animé par un V8 bi-turbo développé conjointement par Ferrari et Abarth. Avec ses 650 chevaux initiaux pour seulement 800 kilos, la LC2 possédait sur le papier tous les atouts pour inquiéter les Porsche.

Une genèse technique d'exception

L'aventure de la LC2 trouve ses racines dans le succès relatif de sa devancière la Lancia LC1, qui avait exploité une faille réglementaire en 1982. Ce n'était pas une Lancia Groupe C, mais une Groupe 5 "tolérée" avec les machines fermées pour la première saison officielle. Mais pour rivaliser durablement en Group C, Lancia devait développer une machine entièrement nouvelle, respectant les contraintes de consommation de la nouvelle réglementation.

Le projet prend forme autour d'une collaboration inédite au sein du groupe Fiat. Ferrari autorise Lancia et Abarth à utiliser certains éléments du V8 3 litres 32 soupapes atmosphérique de la 308 GTBi « Quattrovalvole ». Initialement conçu pour l'Indycar, ce moteur se révèle peu puissant sous sa forme atmosphérique. Abarth développe alors un nouveau bloc-moteur, conservant de nombreux éléments d'origine mais réduisant la cylindrée à 2,6 litres et ajoutant deux turbocompresseurs KKK K26.

La LC2 châssis #0001 - Photo Girardo & Co

Cette métamorphose technique s'avère payante : les premières LC2 développent environ 650 chevaux, surpassant les Porsche 956. Le châssis monocoque en aluminium, confié à Dallara, adopte une carrosserie en kevlar et fibre de carbone aux lignes pures, marquée par l'imposante prise d'air frontale caractéristique du programme Lancia.

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Au fil de sa carrière, la LC2 bénéficie d'évolutions constantes. Le V8 Ferrari reçoit notamment un système électronique Magneti Marelli révisé, permettant d'augmenter la puissance tout en optimisant la consommation. La cylindrée sera également portée à 3 litres pour gagner en fiabilité et en couple.

Des débuts prometteurs mais fragiles

Les premières sorties de la LC2 en 1983 cristallisent toute l'ambiguïté du programme. Aux 1000 km de Monza, course inaugurale, le châssis LC2-0001 participe uniquement aux essais après une sortie de route de Piercarlo Ghinzani. Les LC2-0002 et LC2-0003 terminent la course, décrochant une modeste 9e place pour cette première apparition.

Le véritable test arrive aux 24 Heures du Mans 1983, où trois LC2 sont engagées. La n°4 se qualifie brillamment en 2e position avec un temps de 3'20''790, soit une moyenne de 244,6 km/h, tandis que la n°5 prend la 4e place sur la grille. La n°6, confié à Alessandro Nannini, Jean-Claude Andruet et Paolo Barilla, privilégie les simulations de longs relais plutôt que la recherche du temps absolu. Malheureusement, aucune des trois LC2 ne voit l'arrivée, le circuit sarthois se révélant trop éprouvant pour la fiabilité italienne.

Détails de l'arrière de la Groupe C LC2 de Lancia, ici le châssis #0002 - photo Sotheby's

L'année 1984 marque un tournant. Aux 24 Heures du Mans, les LC2 offrent enfin l'espoir d'une victoire face aux Porsche 956. Bob Wollek décroche la pole position tandis qu'Alessandro Nannini établit le record du tour ! Les deux voitures mènent la course avant d'abandonner sur problèmes de boîte de vitesses, démontrant cruellement l'écart entre le potentiel brut et la fiabilité nécessaire en endurance.

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Cette saison 1984 voit également la première vraie victoire du programme à Kyalami, où Riccardo Patrese et Alessandro Nannini s'imposent devant la concurrence, bien qu'amoindrie par l'absence des équipes Porsche officielles.

L'apogée technique et le déclin

La saison 1985 représente à la fois l'apogée technique et le chant du cygne de la LC2. Les performances pures atteignent des sommets : 398 km/h dans la ligne droite des Hunaudières au Mans, pole positions à répétition démontrant la supériorité de la machine italienne sur un tour.

Pourtant, cette domination théorique se heurte à une série de malchances et de défaillances techniques. Au Mugello, pole position mais abandon sur problème moteur. À Monza, alors qu'une LC2 file vers la victoire, un arbre tombé sur le circuit interrompt prématurément la course. À Silverstone, un écrou de roue défaillant prive l'équipe d'un probable succès. À Hockenheim, une pompe à essence défectueuse anéantit une victoire acquise.

Les Lancia LC2 connaissent une seconde vie dans les séries historiques, notamment avec Le Mans Classic - photo Peter Auto

Henri Pescarolo, qui pilote l'une des LC2 au Mans 1985, témoigne des contraintes techniques : pour ménager la boîte de vitesses, lui et son coéquipier utilisent des séquences de passage des rapports différentes, l'un montant par 1re-2e-3e-4e, l'autre par 1re-2e-3e-5e.

La seule victoire « officielle » de 1985 intervient à Spa-Francorchamps, où Bob Wollek, Riccardo Patrese et Mauro Baldi s'imposent. Mais cette joie est ternie par la mort tragique de Stefan Bellof dans sa Porsche le même jour. « Nous n'avions pas les ressources pour rivaliser avec eux », confiera plus tard Cesare Fiorio, admettant l'inégalité du combat face à l'organisation allemande.

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L'année 1986 sonne le glas du programme officiel. Réduite à une seule voiture, l'équipe Martini Racing jette l'éponge en cours de saison, Lancia privilégiant désormais son programme de rallye où brillent Stratos et future Delta S4.

Un détail technique révèle les difficultés rencontrées : par fidélité envers Pirelli, partenaire en rallye, Lancia débute avec les pneumatiques italiens. Mais ces derniers, inadaptés à la puissance et au poids du prototype, contraignent au passage chez Dunlop dès Silverstone, puis chez Michelin en 1985. Selon Piercarlo Ghinzani, ce sont des problèmes d'interprétation des données entre Pirelli, Lancia et Dallara qui provoquent cet imbroglio initial.

Livrée iconique pour l'épopée Lancia en Groupe C - photo Girardo & Co

Au final, la LC2 aura remporté seulement trois victoires en championnat du monde – Imola 1983, Kyalami 1984 et Spa 1985 – malgré des performances brutes souvent supérieures à la concurrence. Sept châssis officiels sortiront des ateliers, portant les couleurs emblématiques de Martini Racing, tandis que des équipes privées tenteront de prolonger l'aventure jusqu'en 1991 sans succès notable.

Cette « Ferrari Lancia » reste aujourd'hui l'unique représentante italienne authentique de l'ère Group C, symbole d'une époque où l'audace technique pouvait encore faire trembler les géants établis. Son V8 bi-turbo au hurlement reconnaissable continue de faire frissonner les amateurs dans les épreuves historiques, rappelant que parfois, la beauté du geste compte autant que la victoire.