Dans l'Italie des années 1950, alors que la Péninsule se relève des blessures de la guerre, Lancia écrit l'une des pages les plus brillantes de l'histoire automobile. La marque turinoise, fondée en 1906 par l'ancien pilote Fiat Vincenzo Lancia, cultive depuis ses débuts une approche révolutionnaire de l'ingénierie. Pionnière de l'éclairage électrique, des châssis monocoques et des suspensions indépendantes, elle va franchir un nouveau cap en 1950 avec l'Aurelia, première automobile au monde équipée d'un moteur V6. C'est sur cette base technique d'exception que naîtra, en 1954, la B24 Spider, véritable concentré de sophistication mécanique habillé par le génie de Pininfarina. Cette rencontre entre innovation et esthétique donnera naissance à l'un des roadsters les plus désirables de l'histoire.
L'innovation technique au service de la performance
Sous le capot allongé de la B24 Spider bat le cœur de l'Aurelia : un moteur V6 de 2 451 cm³ développant 118 chevaux. Cette architecture, une première mondiale, adopte un angle de 60° entre les bancs de cylindres, permettant un encombrement réduit et un équilibrage parfait des masses. Francesco De Virgilio, l'ingénieur visionnaire à l'origine de cette mécanique, a conçu un bloc léger surmonté de culasses à chambres de combustion hémisphériques, où les soupapes s'inclinent selon la longueur du moteur.
Mais la véritable audace de Lancia réside dans la disposition de l'ensemble boîte-pont : l'embrayage et la boîte de vitesses à quatre rapports sont déportés sur l'essieu arrière, offrant une répartition des masses exemplaire. Cette solution technique, d'une modernité saisissante, permet à la Spider d'afficher un équilibre dynamique remarquable, même si elle génère parfois quelques vibrations à haute vitesse en raison de l'arbre de transmission divisé.
La suspension héritée des premières Aurelia, offre un poids non suspendu minimal et un contrôle précis de la géométrie de roue. À l'arrière, l'essieu De Dion avec barre Panhard garantit une tenue de route sportive digne des meilleures GT de l'époque. Ces choix techniques audacieux permettent à la B24 d'atteindre 185 km/h et d'abattre le 0 à 100 km/h en moins de 12 secondes, performances remarquables pour 1954.
Un design révolutionnaire signé Pininfarina
Lorsque Pininfarina - qui avait déjà aidé à façonner les lignes de l'Aurelia Granturismo - « habilla » la mécanique de la B20 pour créer un spider également élégant, il donna naissance à une sculpture automobile d'une pureté absolue. Le carrossier turinois raccourcit de 185 mm l'empattement du coupé B20 pour créer une silhouette aux proportions parfaites, où l'habitacle central trouve son équilibre entre un capot démesuré et un coffre généreux.
La face avant de la B24 concentre toute la noblesse du style Lancia : la calandre en écusson, emblème historique de la marque, se déploie entre deux phares ronds soulignés par de délicats pare-chocs en forme d'ailes. Une prise d'air longitudinale barre le capot, conférant à l'ensemble une allure sportive affirmée. Les proportions de cette Spider fascinent par leur tension dramatique : un pouce de hauteur supplémentaire aux ailes arrière, et toute la magie s'évaporerait.
L'habitacle révèle un dépouillement raffiné typiquement italien. Le tableau de bord se limite à trois instruments circulaires dominés par un grand compteur de vitesse, tandis que le volant en bois précieux à trois branches aluminium évoque l'artisanat d'exception. Les portes basses, dépourvues de poignées extérieures, préservent la pureté des lignes, tandis qu'un élégant jonc chromé souligne la ceinture de caisse. Cette approche minimaliste, où chaque détail compte, révèle la maîtrise absolue de Pininfarina dans l'art de l'épurement.
Une légende née sur les routes italiennes
La production de la B24 Spider demeure confidentielle, à l'image de la philosophie Lancia : en 1955 seulement, un total de 240 voitures Aurelia B24 Spider ont été construites : 59 avec conduite à droite et 181 avec conduite à gauche. Cette rareté volontaire transforme chaque exemplaire en témoin précieux d'une époque dorée de l'automobile italienne.
L'Aurelia B24 trouve naturellement sa place sur les plus belles routes d'Europe et du Monde. En 1951, Giovanni Bracco, surnommé « Giuàn », propulse déjà une Aurelia B20 GT à une mémorable deuxième place absolue aux Mille Miglia, démontrant sous la pluie battante le potentiel exceptionnel de la plateforme turinoise. La Spider hérite de cet ADN compétitif et séduit immédiatement l'élite internationale, notamment grâce aux efforts de l'importateur américain Max Hoffman, visionnaire du marketing automobile outre-Atlantique.
Le cinéma italien s'empare rapidement de cette beauté mécanique. Dans le chef-d'œuvre de Dino Risi « Il sorpasso » de 1962, un jeune Vittorio Gassman conduit une Aurelia B24 Convertible avec brio et audace tout au long du film, transformant la Lancia en véritable star du grand écran. Cette apparition cinématographique ancre définitivement la B24 dans l'imaginaire collectif comme symbole de la « dolce vita » italienne.
Aujourd'hui, les collectionneurs s'arrachent les rares exemplaires survivants de cette série limitée. Sur les 1 050 Aurelia Spider et Convertible produites jusqu'en 1958, seule une poignée d'exemplaires authentiques subsistent, atteignant des sommets lors des ventes aux enchères internationales. La B24 Spider incarne désormais l'âge d'or de Lancia, cette époque bénie où l'innovation technique et l'excellence esthétique se conjuguaient naturellement dans les ateliers turinois.
Image d'n tête : Lancia Aurelia B24 Spider restaurée par Stradae Corsa