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Jaguar XK 140, la perfection discrète après la révolutionnaire XK 120

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Entre révolution et évolution, il y a parfois la subtilité de l'amélioration. Si la XK120 avait bouleversé le monde automobile en 1948, sa descendante XK140 choisit en 1954 la voie plus sage du raffinement.

texte Mathias Pivert
photo Bonhams, Drew Wheeler, Jaguar Heritage

Quand Jaguar dévoile la XK140 en septembre 1954, la marque de Coventry se trouve dans une position délicate. Comment succéder à un modèle devenu instantanément légendaire ? La réponse tient dans une philosophie simple : ne pas réinventer ce qui fonctionne, mais le perfectionner.

La XK140 incarne cette approche mesurée, transformant les qualités brutes de sa devancière en un ensemble plus civilisé sans rien perdre de son âme sportive. Produite jusqu'en 1957, elle représente l'apogée d'un savoir-faire britannique à son zénith, alliant performance pure et raffinement grandissant dans un équilibre que peu de constructeurs ont su atteindre.

L'évolution maîtrisée d'une légende

La XK140 naît d'une volonté d'amélioration plutôt que de révolution. William Lyons et son équipe ont consciencieusement analysé les retours d'expérience de la XK120 pour corriger ses défauts sans altérer ses qualités intrinsèques. L'exercice s'avère périlleux : comment moderniser un mythe sans le dénaturer ?

La réponse se trouve dans les détails. Le moteur XK de 3,4 litres gagne en puissance, passant de 160 à 190 chevaux en configuration standard. Cette augmentation découle directement de l'expérience acquise en compétition avec les Type C qui dominaient alors Le Mans. Plus significatif encore, l'ensemble mécanique est déplacé de trois pouces vers l'avant, libérant un espace précieux dans l'habitacle. Cette modification apparemment anodine transforme l'ergonomie générale, offrant enfin aux conducteurs de grande taille le confort qui leur faisait défaut sur la XK120.

De la couleur et du chrome, nous sommes bien dans les années 50 - photo Drew Wheeler

L'esthétique évolue avec mesure. Les pare-chocs plus imposants et les baguettes chromées courant sur le capot et le coffre confèrent à la voiture une prestance plus affirmée. Le badge « Winner Le Mans 1951-3 » rappelle fièrement les succès en compétition, ancrant définitivement Jaguar dans l'olympe des constructeurs sportifs. Cette fierté légitime se traduit également par une calandre moulée d'une pièce, plus robuste et moins coûteuse à produire que l'élégante grille de la XK120.

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Raffinement technique et diversité de l'offre

Les ingénieurs de Browns Lane n'ont pas seulement travaillé sur la puissance et l'espace. La XK140 inaugure plusieurs innovations techniques qui transforment radicalement l'expérience de conduite. La direction à crémaillère remplace le système à vis sans fin, apportant une précision inconnue jusqu'alors. Les amortisseurs télescopiques supplantent les archaïques amortisseurs à levier, révolutionnant le comportement routier.

Jaguar XK140 SE roadster 1956 vendue au Grand Palais en 2016 - photo Bonhams

Ces améliorations s'accompagnent d'une diversification de l'offre. Les trois carrosseries historiques – roadster OTS, cabriolet DHC et coupé FHC – évoluent selon leurs spécificités. Le coupé bénéficie d'un toit allongé et rehaussé, créant enfin un habitacle digne de ce nom avec deux petites places arrière. Le roadster conserve son caractère puriste avec son pare-brise démontable et ses flancs de protection amovibles, tandis que le cabriolet trouve un équilibre entre sportivité et confort avec ses vitres remontantes et son tableau de bord en ronce de noyer.

Une Jaguar XK140 engagée aux Mille Miglia en 2015 - photo Jaguar Heritage

La version Special Equipment pousse plus loin la logique performance. Dotée de la culasse Type C développée pour la compétition, elle développe 210 chevaux et s'accompagne de roues à rayons, de doubles échappements et de phares antibrouillard. Cette déclinaison, baptisée XK140 MC sur le marché nord-américain, préfigure l'approche moderne des versions haute performance.

L'innovation majeure de 1956 mérite une mention particulière : la XK140 devient la première Jaguar de série équipée d'une transmission automatique en option. Cette révolution silencieuse ouvre la marque à une clientèle plus large, particulièrement outre-Atlantique où ce type de transmission gagne rapidement en popularité.

Une icone de l'ADN Jaguar

Avec 8 937 exemplaires produits en trois ans, la XK140 s'inscrit dans une logique de production plus mesurée que sa devancière. Cette relative rareté, accentuée par l'exportation massive vers les États-Unis – près de 75 % de la production – en fait aujourd'hui un modèle particulièrement recherché par les collectionneurs.

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L'une des quatre Jaguar XK140 coupé carrossée par la « Carrozzeria Ghia » de Turin - photo Bonhams

La répartition de la production révèle les priorités commerciales de l'époque. Les coupés dominent avec 2 798 unités, suivis des cabriolets (2 790 exemplaires) et des roadsters (3 349 unités). Cette hiérarchie reflète l'évolution du marché automobile des années 1950, où le confort commence à primer sur la sportivité pure.

L'influence de la XK140 dépasse largement ses chiffres de vente. Elle consolide l'image de Jaguar comme constructeur capable d'allier performance et raffinement, posant les bases du succès futur de la XK150 et, plus tard, de l'iconique Type E.