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Les « Flèches d'argent » de Mercedes : une légende qui serait en fait un mythe !

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Vous avez déjà raconté cette histoire à des copains pour briller, pour partager votre passion du sport-auto. On l'a fait, aussi. Mais, est-elle vraie ? Pas certain.

texte Geoffroy Barre

photo Mercedes-Benz

La peinture qui est enlevée pour satisfaire aux règles et, sous elle, la couleur argent de l'aluminium qui brille et qui emmène les Mercedes vers la victoire au Nürburgring en 1934 ! C'est le début des « Silver Arrows », les « Flèches d'Argent », surnom donné depuis aux Mercedes en course. Cette histoire qu'on se raconte entre passionnés d'automobile pourrait bien n'être qu'une fable soigneusement entretenue par Mercedes.

Une légende née dans les années 1930

L'histoire officielle est connue et répétée depuis des décennies : en juin 1934, sur le légendaire circuit du Nürburgring, la nouvelle Mercedes W25 devait participer à l'Eifelrennen. Problème : lors de la pesée, la voiture affichait 751 kg, soit un kilo de trop par rapport à la limite réglementaire fixée à 750 kg. Alfred Neubauer, directeur sportif de l'écurie, et le pilote Manfred von Brauchitsch auraient alors eu l'idée de génie de poncer la peinture blanche de la carrosserie pour faire perdre du poids à la monoplace. Résultat : une voiture à l'aluminium nu, d'une teinte argentée étincelante, exactement au poids réglementaire, et une victoire éclatante le lendemain. Ainsi seraient nées les célèbres « Flèches d'argent ».

Cette histoire romantique a traversé les décennies - reprise par Mercedes - qui a régulièrement célébré cet événement fondateur. Pourtant, des recherches historiques sérieuses menées notamment par le journaliste allemand Eberhard Reuss remettent en question ce récit.

Des faits historiques qui démentent la légende

En examinant le règlement officiel de l'Eifelrennen 1934, Reuss a fait une découverte stupéfiante : cette course n'imposait tout simplement pas la limite de poids de 750 kg ! L'épreuve se disputait selon la réglementation « Formula Libre », plus souple, justement pour permettre à davantage d'écuries de participer. « Il n'y avait absolument aucun besoin de poncer la peinture à la dernière minute la veille de la course », note Reuss dans son livre « Hitler's Motor Racing Battles ».

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La Mercedes-Benz W 25 avec ses fameux 750 kg !

Plus troublant encore, cette anecdote n'apparaît pour la première fois qu'en 1958, dans les mémoires d'Alfred Neubauer intitulées « Speed Was My Life », soit 24 ans après les faits supposés. Dans un précédent ouvrage publié sept ans plus tôt, le même Neubauer évoquait la formule des 750 kg sans jamais mentionner l'épisode du ponçage. En revanche, il y faisait référence à un article de magazine français datant de... 1906, qui racontait l'histoire d'un pilote ayant dû gratter la peinture de sa voiture pour réduire son poids !

Quant à von Brauchitsch, protagoniste central de l'histoire, il ne mentionna cette anecdote dans sa propre autobiographie qu'en 1959, après la publication des mémoires de Neubauer, alors qu'une première version de ses souvenirs publiée en 1953 n'en faisait pas mention.

Une autre origine des « Flèches d'argent »

La réalité serait donc plus prosaïque. Deux mois avant cette course du Nürburgring, Auto Union (l'ancêtre d'Audi) avait déjà présenté sa Type A, qui arborait elle aussi une carrosserie en aluminium brut à la teinte argentée. Elle avait même participé ainsi à la course de l'AVUS, où les Mercedes n'avaient pas pu prendre le départ.

Plus révélateur encore, dès 1932, soit deux ans avant l'Eifelrennen, une Mercedes SSKL pilotée par... Manfred von Brauchitsch lui-même, avait participé à une course sur le circuit de l'AVUS avec une carrosserie aérodynamique en aluminium non peint. Lors de cette course, qui fut la première à être radiodiffusée, ce bolide avait déjà été surnommé « Flèche d'argent » par les commentateurs !

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Un mythe servant l'image de marque

Pourquoi alors entretenir une histoire inexacte ? La construction de ce mythe s'explique en partie par le contexte historique. Dans l'Allemagne d'après-guerre, Mercedes cherchait à renouer avec sa glorieuse histoire sportive tout en se distançant de son association avec le régime nazi, qui avait largement financé les écuries allemandes dans les années 1930.

La Mercedes CLK-GTR, Flèche d'Argent des années 90 !

L'anecdote du ponçage offrait un récit parfait : elle mettait en scène l'ingéniosité allemande, l'esprit d'équipe et la détermination, sans aucune connotation politique. De plus, elle inscrivait la couleur argentée comme le résultat d'un heureux hasard technique plutôt que comme un choix délibéré remplaçant le blanc, couleur nationale de l'Allemagne d'avant-guerre.

Mercedes a d'ailleurs parfaitement conscience de cette réalité historique. Lors du Grand Prix d'Allemagne 2019, l'écurie a célébré les 125 ans de son engagement en sport automobile avec une livrée spéciale faisant référence à cette histoire, tout en la qualifiant prudemment de « légende ». Toto Wolff, patron de l'écurie, plaisantait même : « Je peux vous dire que ça n'a certainement pas allégé la voiture actuelle. Dans toutes les notes techniques avant ce week-end, les ingénieurs ont souligné "autocollants trop lourds"... »

Mythe ou réalité, les « Flèches d'argent » demeurent l'un des symboles les plus puissants de l'histoire du sport automobile. Entre 1934 et 1939, les Mercedes-Benz et Auto Union ont écrasé la concurrence dans quasiment toutes les courses auxquelles elles ont participé, atteignant des vitesses dépassant les 300 km/h avec leurs moteurs développant jusqu'à 646 chevaux.

La livrée argent est toujours présente même à l'ère moderne

Après la guerre, Mercedes a renoué avec ce surnom emblématique lors de son retour en Formule 1 en 1954-1955, remportant deux titres mondiaux consécutifs avec Juan Manuel Fangio. Puis, depuis son retour comme constructeur en 2010, l'écurie a dominé sans interruption le championnat du monde de 2014 à 2021, remportant huit titres constructeurs consécutifs.