En 1924 naissait la Bugatti Type 35, l’une des voitures de course les plus victorieuses de l’histoire du sport automobile. Développée par le constructeur français Bugatti, cette sportive de la seconde moitié des années 1920 allait marquer l’histoire de manière indélébile.
L’histoire de la Type 35 s’inscrit dans un contexte plus large, celui de la naissance et de l’évolution de Bugatti. En 1910, un an à peine après sa création, Bugatti présentait au Salon de l’automobile de Paris sa première voiture de course, la Type 13. Déjà victorieux en compétition, Bugatti dut cependant très vite mettre un terme à ses activités en raison de la Première Guerre mondiale. Comme beaucoup de constructeurs, Bugatti participa à l’effort de guerre en développant pour les Alliés, conjointement avec le constructeur aéronautique Messier, des moteurs d’avion à huit et seize cylindres.
La guerre terminée, Bugatti reprit ses activités dans l’usine de Molsheim-Dorlisheim et relança la production de la Type 13 dès 1919. Cette année marqua un réel tournant dans l’histoire de Bugatti : la Type 13 lui permit d’asseoir sa notoriété auprès d’une clientèle sportive. En 1921, les Type 13 décrochèrent les quatre premières places du Grand Prix des voiturettes à Brescia, ce qui valut par la suite au modèle le surnom de « Bugatti Brescia ».
Une conception révolutionnaire
Au cœur de l’Alsace, dans les ateliers Bugatti de Molsheim-Dorlisheim, Ettore Bugatti lance le projet de la Type 35 en 1924 avec une vision claire : créer une voiture de course performante, mais également accessible aux amateurs fortunés, en utilisant l’expérience acquise avec la Type 13.
Ettore Bugatti, connu pour son implication directe dans chaque aspect du design, dirige personnellement l’équipe de conception. Son fils Jean, alors âgé de 15 ans, commence à s’impliquer dans les projets de l’entreprise, apportant un regard neuf sur le design automobile.
Dès le début, l’équipe se fixe des objectifs ambitieux : concevoir une voiture plus légère, plus agile et plus puissante que ses prédécesseurs, tout en conservant la fiabilité qui avait fait la réputation de Bugatti. Pour y parvenir, plusieurs innovations techniques sont envisagées :
- Un nouveau châssis plus léger et plus rigide, avec des longerons à section évolutive.
- Un moteur huit cylindres en ligne amélioré, utilisant largement l’aluminium pour réduire le poids.
- Des roues en aluminium coulé à huit branches plates, une première à l’époque, intégrant les tambours de frein.
- Un système de freinage révolutionnaire, actionné par câble Bowden.
Le processus de développement de la Type 35 est marqué par la méthode de travail empirique de Bugatti. Plutôt que de s’appuyer uniquement sur des calculs théoriques, l’équipe préfère construire plusieurs prototypes et les tester rigoureusement sur les routes sinueuses autour de l’usine de Molsheim. Ces essais permettent d’affiner la conception, notamment en ce qui concerne la suspension et la maniabilité.
L’un des plus grands défis techniques est la conception du moteur. L’objectif est de créer un bloc puissant mais suffisamment léger. La solution ? Une utilisation extensive de l’aluminium, une approche audacieuse pour l’époque.
Le moteur, bien que dérivé de celui des Bugatti Type 30 et Type 32, faisait donc également preuve d’innovation. L’utilisation généralisée de matériaux légers comme l’aluminium permettait d’obtenir une excellente répartition des masses et un poids contenu à environ seulement 750 kg. Le vilebrequin démontable doté de cinq paliers rendait inutile une lubrification haute pression, et l’embiellage monté sur roulements à billes et à rouleaux permettait d’atteindre un régime moteur supérieur à 6 000 tr/min, une valeur considérable pour l’époque.
Bien que la performance soit la priorité, Ettore Bugatti n’oublie pas l’importance de l’esthétique. La forme élégante et aérodynamique de la Type 35 est soigneusement élaborée pour allier beauté et efficacité, une philosophie qui deviendra la marque de fabrique de Bugatti.
Le châssis et la carrosserie étaient entièrement nouveaux. Les longerons à section évolutive étaient dimensionnés en fonction des contraintes subies, contribuant à l’optimisation du poids. L’essieu avant formé d’une seule pièce, entièrement poli, était considéré comme « une véritable œuvre d’art », sa réalisation par les forgerons de Molsheim constituant une prouesse technique.
Un palmarès inégalé
La Type 35 fait ses débuts publics lors du Grand Prix de Lyon en août 1924. Malgré quelques problèmes de jeunesse qui l’empêchent de remporter la course, ses performances prometteuses convainquent Bugatti de poursuivre son développement.
Deux ans après ses débuts, la Type 35 remporta le Championnat du Monde des Grands Prix en 1926. Elle domina également l’éprouvante Targa Florio, remportant la victoire sur les montagnes de Sicile pendant cinq années consécutives, de 1925 à 1929.
Même après son lancement, la conception de la Type 35 continue d’évoluer. Les retours des pilotes et les expériences en course conduisent à des améliorations constantes, donnant naissance à plusieurs variantes au fil des ans : Type 35A, 35C, 35T, 35B, et même les Types 37, 37A, 39 et 39A.
Près de 640 exemplaires furent construits jusqu’en 1930. Contrairement à d’autres constructeurs de l’époque, Bugatti vendait la Type 35 à quiconque en avait les moyens, qu’il soit pilote professionnel ou amateur fortuné. Le prix de la Type 35 s’élevait à 160 000 francs de l’époque. Cette politique a largement contribué à son succès commercial et à sa domination sur les circuits.
Avec plus de 2 000 victoires en compétition, la Type 35 détient un palmarès toujours inégalé. Son design innovant, ses qualités techniques et dynamiques, sa grande maniabilité et ses performances enviables lui ont permis de dominer les grands prix, les courses de côte et les rallyes du monde entier. Elle n’est pas seulement la Bugatti la plus célèbre, mais elle compte également parmi les voitures ayant le plus marqué l’histoire de l’automobile. C’est à cette époque que naît le mythe des « Pur-sang » Bugatti.
Comme Ettore Bugatti le disait lui-même : « Il ne faut pas considérer cette voiture comme une voiture de course. Elle a été construite sur le même principe que toutes les autres, car je n’admettrai jamais de courir avec un engin qui ne soit pas rigoureusement celui que le client peut acheter.«
Au début des années 1930, la Type 35 céda sa place aux sportives des constructeurs italien Alfa Romeo et allemand Mercedes-Benz. Cependant, son héritage perdure. Aujourd’hui encore, certains modèles historiques continuent de faire vivre le mythe de la Bugatti Type 35 en participant à des rassemblements, des concours, des courses de régularité et des reconstitutions historiques.
La Bugatti Type 35 incarne à la perfection cette époque où le génie mécanique, le courage des pilotes et la quête de la vitesse se conjuguaient pour repousser les limites du possible. Un siècle après sa création, elle demeure un chef-d’œuvre d’ingénierie mécanique qui continue de susciter l’admiration et d’alimenter le mythe. Comme l’avait si bien dit Roland Garros peu de temps avant sa mort en 1918, Ettore Bugatti était « un artiste incomparable qui seul sait donner une âme à de l’acier. » La Type 35 est sans doute l’une des plus belles illustrations de cette affirmation.
Crédit photo : Gooding & Company