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BMW 507 : quand Munich illumina les années 1950

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En seulement quatre années, BMW réussit l'exploit de créer l'une des plus belles voitures de l'histoire... et l'un de ses plus cuisants échecs commerciaux. Quand la beauté pure se heurte aux réalités économiques, naissent parfois des légendes immortelles.

texte Mathias Pivert
photo BMW, Bonhams, Broad Arrow, RM Sotheby's

Dans l'effervescence des années 1950, alors que l'Europe se reconstruit et que l'Amérique découvre les plaisirs de la vitesse, BMW caresse un rêve fou : séduire le marché américain avec un roadster capable de rivaliser avec les prestigieuses Mercedes-Benz 300 SL.

Ce pari audacieux donnera naissance à la BMW 507, un bijou d'aluminium qui marquera à jamais l'histoire du design automobile, malgré un destin commercial tragique. Entre 1955 et 1959, seulement 254 exemplaires sortiront des ateliers munichois, transformant chaque 507 en œuvre d'art roulante dont la rareté n'a d'égale que la beauté intemporelle.

Un rêve bavarois né d'une ambition américaine

L'histoire de la BMW 507 commence avec Max Hoffman, cet importateur austro-américain visionnaire qui avait le don de sentir les tendances avant tout le monde. Convaincu qu'une sportive européenne élégante pourrait conquérir la clientèle américaine fortunée, il pousse BMW à développer un roadster d'exception. Le constructeur munichois confie alors le dessin à Albrecht von Goertz, un aristocrate allemand installé aux États-Unis, plus habitué à habiller réfrigérateurs et téléviseurs qu'automobiles.

BMW 507 Series II Roadster de 1957 vendue en 2022 2,3 millions d'euros, à « The Audrain Concours Auction » - photo Bonhams

Le comte Goertz livre un chef-d'œuvre absolu. Présentée au salon de Francfort en septembre 1955, la BMW 507 fait sensation avec ses lignes fluides et intemporelles, son long capot sculptural et ses proportions parfaites. La presse de l'époque s'enflamme : « BMW a battu les Italiens dans la catégorie des voitures de sport haut de gamme. » Cette carrosserie en aluminium façonnée artisanalement repose sur le châssis de la berline BMW 501/502, raccourci de 35 centimètres pour épouser les canons esthétiques du roadster.

Sous ce capot élégant bat le cœur de la 507 : le premier moteur V8 de l'histoire BMW. Ce bloc de 3,2 litres à soupapes en tête, hérité des berlines de prestige, développe 150 chevaux grâce à ses deux carburateurs Zenith double corps. Une version plus puissante de 165 chevaux était également proposée en option. Ces performances permettaient d'atteindre les 220 km/h, des chiffres respectables pour l'époque, même si la consommation frôlait les 17 litres aux cent kilomètres.

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L'échec d'un chef-d'œuvre : quand la beauté ne suffit pas

Malgré son esthétique irréprochable, la BMW 507 se heurte rapidement à une réalité implacable : son coût de fabrication. L'absence de chaîne d'assemblage et la construction artisanale gonflent dramatiquement les prix. En 1957, il fallait débourser 26 500 Deutsche Mark pour s'offrir ce bijou, soit l'équivalent de 5,5 années de salaire d'un ouvrier moyen ! Cette somme astronomique la rendait aussi chère que la redoutable Mercedes-Benz 300 SL « Papillon », sans pouvoir rivaliser avec ses performances pures.

Vue arrière du châssis 70157, vendu aux enchères par RM Sotheby's en 2019 - photo RM Sotheby's

La concurrence s'avère féroce sur le segment des roadsters de prestige. Face aux Jaguar XK140 au rapport qualité-prix-prestige imbattable, aux Ferrari America ou aux Aston Martin DB3, la 507 peine à trouver sa clientèle. BMW espérait écouler 1 000 exemplaires par an, mais la réalité du marché en décide autrement. La production s'étale laborieusement sur quatre années, générant des pertes considérables de 15 millions de Deutsche Mark qui contraignent le constructeur à arrêter la fabrication début 1959 pour éviter la faillite.

Cette production confidentielle se répartit de manière révélatrice : seulement 3 exemplaires en 1955, puis 2 en 1956, avant un pic de 102 voitures en 1957 et 101 en 1958, puis un effondrement à 46 unités en 1959. Ces chiffres témoignent des difficultés croissantes de BMW à justifier economiquement ce projet, aussi séduisant soit-il esthétiquement.

De l'oubli à la résurrection : l'épopée de la 507 d'Elvis

Parmi les propriétaires célèbres de la BMW 507 figurent Alain Delon, Jean Marais ou encore le champion de Formule 1 John Surtees. Mais aucune histoire n'est aussi romanesque que celle d'Elvis Presley et de sa 507 aux péripéties hollywoodiennes. En décembre 1958, le jeune soldat américain de 23 ans, stationné en Allemagne, tombe sous le charme d'une 507 blanche d'occasion chez un concessionnaire de Francfort.

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Cette voiture particulière, portant le numéro de châssis 70079, avait déjà une histoire. Elle avait d'abord servi de voiture de course au pilote Hans Stuck, surnommé le « champion de montée », qui l'utilisait lors de compétitions de côte entre mai et août 1958. La 507 avait même joué dans le film « Hula-Hopp Conny » avant d'atterrir chez le concessionnaire où Elvis la découvre.

BMW 507 ex Elvis Presley - photo BMW

Le « King » utilise sa BMW pour ses trajets entre Bad Nauheim et la base américaine de Friedberg. Ses admiratrices prennent l'habitude de décorer la carrosserie blanche de messages d'amour au rouge à lèvres, embarrassant le jeune soldat qui fait repeindre sa voiture en rouge. En mars 1960, Elvis rentre aux États-Unis avec sa 507, mais s'en sépare rapidement contre une Chrysler chez un concessionnaire new-yorkais.

S'ensuit alors une odyssée américaine tumultueuse. La 507 d'Elvis passe entre plusieurs mains, subit des modifications drastiques avec l'installation d'un moteur Chevrolet pour la course, avant d'être acquise en 1968 par Jack Castor, un ingénieur aéronautique californien passionné de véhicules anciens. Castor stocke la voiture dans un entrepôt, collectant patiemment les pièces nécessaires à sa restauration.

La renaissance intervient en 2014 quand BMW Group Classic rachète la 507 et entreprend une restauration complète de deux ans. « L'opportunité de ramener la BMW 507 du King of Rock'n'Roll ici à Munich pour une restauration conforme aux souhaits du précédent propriétaire, Jack Castor, était un rêve devenu réalité », explique Ulrich Knieps, responsable de BMW Group Classic. La voiture retrouve sa livrée blanche d'origine et est présentée au prestigieux Concours d'Élégance de Pebble Beach en août 2016.

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Aujourd'hui, sur les 254 BMW 507 produites, environ 220 ont survécu aux outrages du temps. Cette rareté exceptionnelle en fait l'une des voitures de collection les plus recherchées au monde, avec des cotes dépassant le million d'euros. En 2018, l'exemplaire ayant appartenu à John Surtees s'est adjugé 3,8 millions de livres sterling chez Bonhams. La BMW 507 incarne ainsi le paradoxe fascinant d'un échec commercial devenu légende absolue, prouvant que certaines créations transcendent leur époque pour devenir immortelles.