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Alfa Romeo TZ3 Stradale : la beauté italienne au cœur américain

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L'union entre une Dodge Viper et une carrosserie Zagato a donné naissance à l'une des supercars les plus controversées de la décennie 2010.

texte Mathias Pivert
photo RM Sotheby's / Young Motorcars

L'Alfa Romeo TZ3 Stradale incarne parfaitement les contradictions de l'industrie automobile moderne. Née en 2011 dans le sillage de la fusion entre Fiat et Chrysler, cette création de Zagato cache sous sa sublime robe italienne les entrailles... d'une muscle car américaine. Avec seulement neuf exemplaires produits, elle demeure l'un des symboles les plus ambigus de l'ère Sergio Marchionne, où les impératifs financiers ont parfois pris le pas sur l'authenticité des marques historiques. Comment cette voiture est-elle devenue à la fois un chef-d'œuvre esthétique et une « hérésie » pour les puristes alfistes ?

L'héritage sacré des Tubolare Zagato

Pour comprendre la polémique entourant la TZ3 Stradale, il faut d'abord saisir l'importance de l'acronyme TZ dans l'histoire d'Alfa Romeo. Les initiales Tubolare Zagato désignent une lignée mythique née dans les années 1960, symbole de l'excellence technique et esthétique transalpine.

Le sixième des neufs exemplaires assemblés - Photo RM Sotheby's

Les premières Alfa Romeo TZ, produites entre 1963 et 1965 à seulement 112 exemplaires, incarnaient la quintessence de la philosophie italienne : des voitures ultra-légères de 660 kilos, dotées d'un châssis tubulaire révolutionnaire et d'une carrosserie sculptée par Zagato. Leur silhouette unique, marquée par la fameuse « coda tronca » (queue tronquée) et leurs phares sous bulles, en faisait des objets de désir autant que des redoutables compétitrices.

La première Alfa Romeo américaine, selon Andrea Zagato - Photo RM Sotheby's

Sur circuit, ces petites merveilles de 112 chevaux rivalisaient avec les meilleures Ferrari 250 GTO. Leur palmarès parle de lui-même : troisième et quatrième places à la Targa Florio 1964 derrière deux Porsche 904, victoires de classe aux 24 Heures du Mans, à Sebring et au Nürburgring. La TZ2, version allégée à seulement douze exemplaires, poussait encore plus loin l'obsession de la légèreté avec ses 560 kilos.

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Châssis #7, passé de Milan en 2013 à la Californie du Sud ensuite - Photo TGS Autohaus

Cette hérédité glorieuse explique pourquoi la renaissance du nom TZ en 2010 suscitait tant d'attentes. Le projet initial semblait d'ailleurs respecter cette tradition : commandée par le collectionneur allemand Martin Kapp pour célébrer le centenaire d'Alfa Romeo et les 90 ans de Zagato, la TZ3 Corsa reprenait fidèlement les codes esthétiques de ses aînées. Exemplaire unique de 850 kilos animé par un V8 Maserati de 420 chevaux, elle incarnait l'esprit originel des Tubolare Zagato.

Une renaissance controversée sous l'ère Marchionne

L'histoire aurait pu s'arrêter là, mais le succès de la TZ3 Corsa au Concours d'élégance de la Villa d'Este allait tout changer. Face aux demandes pressantes de collectionneurs fortunés, Zagato décida de produire une petite série homologuée pour la route. Cette décision, en apparence logique, marquait en réalité une rupture fondamentale avec l'esprit originel du projet.

Le cinquième exemplaire de la TZ3 Stradale - Photo Young Motorcars

Le contexte industriel de l'époque explique cette dérive. Sergio Marchionne, alors patron du groupe Fiat, venait d'acquérir 20 % de Chrysler en 2009 avec l'ambition d'en prendre le contrôle total. Cette alliance stratégique ouvrait de nouvelles possibilités techniques, mais aussi de dangereuses facilités. Pour homologuer rapidement une TZ3 « Stradale » sans supporter les coûts astronomiques des tests réglementaires, la solution était tentante : utiliser une base déjà homologuée du catalogue Chrysler.

La partie arrière, la plus réussie au premier coup d'œil - Photo Young Motorcars

Le choix de la Dodge Viper ACR s'imposait pour des raisons pratiques. Son châssis de 2,51 mètres d'empattement offrait des proportions compatibles avec l'esthétique Zagato, tandis que son statut de supercar légitimait partiellement cette greffe inhabituelle. Mais symboliquement, cette décision représentait une trahison de l'ADN TZ : fini le châssis tubulaire artisanal, place à une plateforme de muscle car américaine pesant le double de l'originale.

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Cette stratégie industrielle reflétait parfaitement la philosophie de Marchionne, davantage financier qu'amateur d'automobiles. Le dirigiteur italo-canadien n'hésitait pas à multiplier ce type d'opérations marketing, contraignant par exemple Lancia à rebadger des Chrysler pour le marché européen, au mépris de l'histoire de la marque turinoise.

Oui, vous savez que c'est une Viper maintenant - Photo TGS Autohaus

Chef-d'œuvre esthétique pour les uns, « hérésie » industrielle pour les autres, elle incarne parfaitement les contradictions d'un monde où les fusions d'entreprises redéfinissent sans cesse l'identité des marques historiques. Une leçon d'humilité qui rappelle que l'automobile n'échappe pas aux réalités économiques de la mondialisation.

Entre génie esthétique et compromis industriel

Malgré ces compromis industriels, la TZ3 Stradale demeure un objet fascinant, incarnation des contradictions de son époque. Esthétiquement, Norihiko Harada avait réussi un petit miracle en adaptant le langage stylistique Zagato aux proportions généreuses de la Viper. La carrosserie en fibre de carbone reprenait habilement les codes de la TZ originale : nez arrondi, phares sous bulles, toit avec deux bulles et cette fameuse coda tronca qui donnait tant de caractère aux anciennes.

Le détail le plus surprenant résidait dans le traitement de la partie arrière. Contraint par l'architecture de la Viper, Zagato avait imaginé un hayon s'ouvrant vers le bas comme celui d'un pick-up, créant une ouverture de chargement aussi pratique qu'inattendue sur une supercar. Cette solution technique astucieuse permettait de préserver l'esthétique tout en conservant une fonctionnalité.

La malle arrière de la TZ3 Stradale Zagato - Photo TGS Autohaus

Sous ce costume italien se cachait néanmoins une mécanique typiquement américaine. Le V10 de 8,4 litres de la Viper, avec ses 608 chevaux et ses 760 Nm de couple, incarnait l'antithèse de la philosophie transalpine traditionnelle. Là où les Alfa historiques brillaient par leur sophistication technique et leur montée en régime virtuose, la TZ3 Stradale misait sur la force brute d'un moteur de camion sublimé.

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Cette puissance pharaonique permettait néanmoins des performances spectaculaires : 325 km/h en vitesse de pointe et un 0 à 100 km/h expédié en 3,6 secondes. La boîte manuelle à six rapports préservait au moins une certaine authenticité sportive dans un monde déjà gagné par les automatismes.

Seulement neuf exemplaires produits - Young Motorcars

L'habitacle illustrait parfaitement les compromis de cette création hybride. Si Zagato avait noyé l'ensemble sous un déluge de cuir caramel façon grand tourisme italien, on retrouvait çà et là des éléments typiquement Chrysler : l'autoradio, certaines commandes, ces détails qui trahissaient l'origine américaine du projet.

Commercialisées directement par Zagato au prix d'un million d'euros pièce, les neuf TZ3 Stradale trouvèrent rapidement preneurs. Aujourd'hui, elles s'échangent autour de 500 000 €, témoignant d'une cote relativement stable pour cette curiosité de l'histoire automobile. Une somme qui peut sembler élevée pour une Viper, mais justifiée par l'exclusivité et le savoir-faire artisanal de Zagato.