Présentée au Salon de l'Automobile de Paris en octobre 1968, l'Alfa Romeo Carabo est création spectaculaire signée Marcello Gandini pour Bertone. Elle a instantanément redéfini les codes esthétiques de son époque. Basée sur le châssis de la sublime Alfa Romeo 33 Stradale, elle abandonnait les courbes sensuelles de sa donatrice pour adopter une approche radicalement géométrique et futuriste.
Son nom même, dérivé du scarabée carabidae aux reflets métalliques verts et or, annonçait sa nature : une créature rare et fascinante, dont l'exosquelette anguleux allait inspirer des générations de designers. Plus qu'un simple exercice de style, la Carabo représentait l'émergence d'une nouvelle philosophie automobile, où l'aérodynamisme et la géométrie pure prenaient le pas sur les formes organiques traditionnelles.
Une rupture esthétique radicale sous la signature de Gandini
La Carabo marque un tournant décisif dans l'histoire du design automobile. Alors que la plupart des voitures de sport de l'époque arboraient des lignes arrondies inspirées par la nature, Marcello Gandini propose une approche complètement différente. Le profil cunéiforme extrêmement bas (à peine 99 centimètres de hauteur), les surfaces planes interconnectées et les arêtes vives définissent une silhouette qui semble avoir été taillée au scalpel.
L'avant plongeant et l'arrière tronqué, caractéristiques du « Wedge Design » dont la Carabo deviendra l'un des manifestes les plus éloquents, répondaient aussi à des préoccupations aérodynamiques. Les phares escamotables, dissimulés sous des panneaux horizontaux, contribuaient à la pureté des lignes lorsque la voiture était au repos. Mais c'est peut-être dans ses portes à ouverture papillon que réside l'innovation la plus spectaculaire et influente de la Carabo. Cette solution technique élégante, qui deviendra plus tard la signature des Lamborghini, permettait de contourner les problèmes d'accès liés à l'extrême faible hauteur de l'habitacle.
« Notre intention était de créer une voiture qui rompe complètement avec le passé et qui explore de nouvelles directions stylistiques », expliquait Nuccio Bertone. Cette rupture s'incarnait également dans le choix des couleurs : le vert métallisé iridescent évoquant la carapace du scarabée, associé à des vitres teintées en orange, créait un contraste saisissant et futuriste qui rompait avec les codes chromatiques traditionnels des voitures italiennes.
Des choix techniques et mécaniques ambitieux
Sous sa carrosserie révolutionnaire, la Carabo dissimulait une mécanique d'exception directement dérivée de la compétition. Le châssis emprunté à l'Alfa Romeo 33 Stradale était lui-même issu de la Tipo 33, voiture de course qui s'était illustrée en championnat du monde des voitures de sport. Au cœur de cette architecture se nichait un bijou mécanique : un V8 de 2 litres monté en position centrale arrière, capable de développer 230 chevaux à 8800 tours/minute – une puissance spécifique exceptionnelle pour l'époque.
Ce moteur, dont la sonorité métallique et aiguë rappelait davantage les monoplaces que les voitures de route, permettait des performances théoriques impressionnantes. La vitesse maximale annoncée de 260 km/h et le 0 à 100 km/h expédié en 5,5 secondes plaçaient la Carabo parmi les voitures les plus rapides de son temps, malgré un poids contenu de 980 kg.
L'habitacle, tout aussi radical que l'extérieur, préfigurait l'ergonomie future des supercars. Le conducteur et son passager prenaient place dans un cockpit minimaliste aux accents futuristes, où les instruments analogiques s'inscrivaient dans une planche de bord géométrique. Cette approche, alliant performance et théâtralité, deviendra la référence pour de nombreuses voitures de sport dans les décennies suivantes.
Il est fascinant de noter que la Carabo fut conçue et fabriquée en un temps record de seulement 10 semaines, témoignant du génie créatif de Gandini et de la réactivité exceptionnelle des artisans de Bertone à cette époque.
L'influence sur l'évolution du design automobile
Si la Carabo est restée un exemplaire unique, son influence stylistique a été considérable et durable. Elle a directement inspiré la création de la Lamborghini Countach, dessinée elle aussi par Gandini, qui reprendra et amplifiera les principes esthétiques inaugurés par le concept Alfa Romeo. Cette filiation stylistique s'étendra ensuite à d'autres créations emblématiques comme la Lancia Stratos Zero (1970) et la production en série qui en découla.
Plus largement, la Carabo a joué un rôle fondamental dans l'émergence du style « wedge » (en coin) qui dominera le design des voitures de sport tout au long des années 1970 et au début des années 1980. Des modèles aussi divers que la Lotus Esprit, la Maserati Khamsin, la Lancia Beta Montecarlo ou encore la Ferrari Berlinetta Boxer portent tous, à des degrés divers, l'empreinte de cette révolution formelle initiée par la Carabo.
Au-delà de son influence stylistique, le concept Alfa Romeo a également contribué à populariser certaines innovations techniques, comme les portes papillon, qui deviendront un marqueur visuel fort des supercars. La philosophie aérodynamique avancée de la Carabo, avec son avant très bas et son arrière surélevé, annonçait également les recherches qui aboutiront aux premières voitures à effet de sol en Formule 1 à la fin des années 1970.
La récente présentation de la Carabo lors de la Milan Design Week 2023, plus de 50 ans après sa création, témoigne de son statut d'icône intemporelle du design. Aujourd'hui conservée précieusement dans la collection historique de Stellantis Heritage, elle continue de fasciner les nouvelles générations par sa modernité stupéfiante et son audace formelle.
