Marques et modèles cultes > Abarth 595 et 695 SS : quand le scorpion transformait la Cinquecento en légende

Abarth 595 et 695 SS : quand le scorpion transformait la Cinquecento en légende

Marques et modèles cultes

Minuscules par la taille, surnaturelles par leurs performances. Les Abarth 595 et 695 SS ont prouvé qu'avec 500 kilogrammes et le génie de Carlo Abarth, on pouvait coiffer des voitures trois fois plus puissantes.

pub
texte Geoffroy Barre
photo Artcurial, Bonhams, Joe Macari, RM Sotheby's, Stellantis

« La performance des moteurs Fiat, tels que modifiés par Carlo Abarth, a longtemps été considérée comme relevant du surnaturel », écrivait John Bolster dans le magazine Autosport en 1966. Cette phrase résume parfaitement l'alchimie qui s'opère lorsque le magicien turinois pose ses mains expertes sur l'humble Fiat 500. Entre 1963 et 1971, Abarth développe pas moins de douze dérivés de la petite italienne, créant une famille de voitures aussi complexe que passionnante. Des 595 de 27 chevaux aux redoutables 695 SS Assetto Corse capables de dépasser 170 km/h, cette lignée incarne l'essence même de la préparation automobile intelligente. Mais derrière ces chiffres se cachent des productions confidentielles et une rareté qui fait aujourd'hui de chaque exemplaire authentique un trésor pour collectionneurs. Comprendre la généalogie de ces scorpions mécaniques demande de démêler un écheveau d'informations, témoignage d'une époque où la production automobile artisanale côtoyait l'industrie de masse.

Carlo Abarth, du record de Monza à la consécration

Pour saisir la genèse des 595 et 695, il faut d'abord comprendre l'homme qui les a créées. Carlo Abarth, né Karl Abarth à Vienne en 1908, forge sa réputation sur deux roues avant de conquérir l'univers automobile. Après avoir quitté Cisitalia en 1948, il fonde Abarth & Co SpA en 1949 aux côtés de Guido Scagliarini, dans l'effervescence de l'après-guerre italien à Turin, berceau de l'industrie automobile transalpine. Son choix de l'emblème du scorpion correspond à son signe astrologique et symbolise parfaitement sa philosophie : petites créatures dotées d'un dard redoutable. Enfin, capables de piquer, vous avez compris.

Les débuts sont difficiles. Lorsqu'Abarth présente sa première version de la Fiat 500 en 1957, quasi immédiatement après le lancement du modèle standard, le public rechigne devant l'addition. Une Fiat 500 coûte 457 000 lires, l'Abarth 539 450 lires. Pourtant, le gain est substantiel : 21 chevaux contre les 18 chevaux anémiques de la version d'origine de la Nuova 500. Mais Carlo Abarth possède un atout dans sa manche, un qu'il affectionne particulièrement : les records. Du 13 au 20 février 1958, une Fiat 500 Abarth parcourt 18 886,44 kilomètres à Monza à une moyenne de 108,252 km/h. Cette performance extraordinaire (détaillée sur le site de Stellantis Héritage) change instantanément le rapport entre Fiat et Abarth. « Le magicien » obtient un accès direct à la direction de Fiat, et la légende veut que le constructeur turinois payait cash chaque lundi pour les victoires en course que les scorpions remportaient le week-end.

Le scorpion, petit, mais piquant - photo RM Sotheby's

L'année 1958 marque le tournant décisif : Abarth signe un accord avec Fiat permettant à son entreprise de recevoir des carrosseries semi-finies directement depuis les chaînes de Turin. Cette collaboration officielle permet à Abarth de transformer méthodiquement les modèles Fiat en véritables machines de course homologuées pour la route. Parallèlement, le préparateur autrichien développe une approche commerciale ingénieuse : des kits de préparation complets expédiés dans de légendaires caisses en bois vers des concessionnaires Abarth sélectionnés. Ces kits incluent échappements sportifs, collecteurs d'admission, soupapes renforcées, arbres à cames spéciaux et même des leviers de vitesses montés sur la colonne de direction. Cette méthode démocratise la performance automobile et permet aux propriétaires de Fiat 500 standard de transformer leur citadine en projectile sans acheter un véhicule neuf.

À voir aussi  Abarth 500e : la première citadine électrique et sportive du scorpion !

La Fiat 500, lancée en 1957 et conçue par Dante Giacosa pour motoriser l'Italie d'après-guerre, devient naturellement le terrain de jeu favori d'Abarth. Cette citadine au design attachant recèle un potentiel insoupçonné une fois passée entre les mains expertes des ingénieurs du scorpion.

La famille 595 : du succès commercial à la rareté extrême

Bien que Carlo Abarth ne soit pas resté inactif entre 1958 et 1963, il faut attendre septembre 1963 pour voir arriver la véritable évolution de la Fiat 500 : l'Abarth 595. Basée sur la Fiat 500 D, elle adopte la méthode la plus efficace pour extraire davantage de puissance d'un petit moteur : un nouveau bloc à gros alésage portant la cylindrée de 499 cm³ à 595 cm³, d'où son appellation. Le bicylindre refroidi par air se voit équipé d'un carburateur Solex C28 PBJ et d'un système d'alimentation optimisé, portant la puissance à 27 chevaux. Ce gain de 50 % transforme radicalement le caractère de la petite italienne.

Fiat 595 Abarth SS - photo Joe Macari

Le succès est immédiat : en quatre mois seulement, les 1 000 exemplaires nécessaires à l'homologation sont construits et vendus. Cette 595 pose les fondations d'une lignée qui fera trembler les chronométreurs sur les circuits italiens. Mais Abarth ne s'arrête pas là. Dès 1964, il présente la 595 SS (Sprint Speciale), version encore plus radicale développant 32 chevaux. Lorsque Fiat lance en 1965 la 500F avec une carrosserie révisée et alourdie adoptant des portes à charnières avant, Abarth doit réagir : la puissance de la 595 SS grimpe à 34 chevaux pour compenser le surpoids. Pistons à haute compression, conduits d'admission retravaillés, arbre à cames spécial, système d'échappement optimisé et carburateur agrandi permettent d'atteindre cette puissance. Comme le soulignait John Bolster après avoir testé une 595 pour Autosport en 1966, le gain principal ne réside pas tant dans les chevaux supplémentaires que dans le couple largement supérieur à mi-régime. La suspension abaissée et les roues et pneumatiques élargis aident la petite Fiat à exploiter ses performances accrues, avec une vitesse de pointe dépassant 130 km/h.

Fiat 595 Abarth SS - photo Joe Macari

Contrairement à la 595 standard produite à 1 000 exemplaires, la 595 SS connaît une production extrêmement confidentielle. Seuls 20 exemplaires sortent des ateliers Abarth selon plusieurs sources concordantes, dont sept complétés en 1970. Cette rareté extrême fait aujourd'hui de chaque 595 SS authentique un objet de collection recherché, d'autant que les innombrables répliques créées depuis compliquent l'identification des véritables exemplaires d'usine.

La famille 695 : l'aboutissement ultime

Puis vient la 695, d'abord simplement avec plus de cylindrée mais une puissance équivalente, avant l'arrivée de la version SS. Introduite en 1964, la 695 SS représente l'expression la plus radicale de la philosophie Abarth appliquée à la Fiat 500. Le bicylindre bénéficie d'une refonte complète : culasses spéciales, ressorts de soupapes renforcés, arbre à cames redessiné autorisant des régimes moteur plus élevés. La compression atteint 10,5:1, les conduits sont polis, et une grande carter d'huile assure la lubrification.

À voir aussi  Milan Abarth, la première supercar Autrichienne
Après la 500, la 595, apparaît la 695 - photo RM Sotheby's

Dans sa configuration d'origine, la 695 SS développe 38 chevaux, chiffre qui peut sembler modeste aujourd'hui. Mais avec quelques ajustements supplémentaires proposés par Abarth, cette puissance franchit aisément le cap des 50 chevaux. Pour une voiture pesant 500 kilogrammes, ce rapport poids-puissance autorise des performances stupéfiantes, avec des vitesses de pointe atteignant 140 à 145 km/h.

Logo mythique, couleurs emblématiques - photo Bonhams

Visuellement, la 695 SS se distingue par ses passages de roues élargis - elle est la seule version de la gamme à en arborer - nécessaires pour abriter des pneumatiques plus larges. Le capot moteur arrière adopte une configuration surélevée, indispensable pour assurer ventilation optimale et stabilité aérodynamique. Le 28 février 1970, lors de la quatrième exposition de voitures de course de Turin au Museo dell'Automobile Carlo Biscaretti di Ruffia, Abarth présente officiellement les 595 SS et 695 SS dans leur version définitive. Les deux modèles impressionnent par leur voie élargie (1 405 millimètres pour la 595, 1 435 millimètres pour la 695) et leurs élargisseurs d'ailes peints en rouge. Dès leur première apparition en compétition, lors des 4 Heures du Jolly Club à Monza, elles raflent deux victoires de classe : Marco Magri sur 595, Angelo Mola sur 695.

FIAT-Abarth 695 SS AC - photo Bonhams

La production totale de la 695 SS s'établit à 1 000 unités entre 1964 et 1971. L'attrition naturelle, les accidents de course et l'usure du temps ont considérablement réduit les effectifs. Les estimations suggèrent qu'environ 150 exemplaires survivent aujourd'hui à travers le monde.

Les versions compétition : Assetto Corse, Competizione et l'énigmatique Radiale

Au sommet de la pyramide Abarth se trouvent les versions destinées à la compétition pure. L'Assetto Corse représente la déclinaison la plus radicale de la 695 SS. Sa production fait l'objet d'une contradiction entre sources : certains documents mentionnent 200 exemplaires construits, d'autres évoquent 100 unités. Cette incertitude, fréquente pour des productions artisanales de cette époque, témoigne de la difficulté à établir des chiffres définitifs. Les estimations s'accordent néanmoins sur environ 50 survivants.

L'Assetto Corse se distingue par des modifications substantielles. La boîte de vitesses passe à cinq rapports contre quatre pour la version SS standard, avec un étagement optimisé pour le circuit. Le poids reste contenu à 500 kilogrammes grâce à un allègement méthodique : verre remplacé par du plexiglas, sièges baquets de compétition, suppression de tout élément superflu. Côté mécanique, la puissance atteint environ 48 chevaux, permettant de dépasser 170 km/h. Les roues de 10 pouces chaussées de pneumatiques de compétition Dunlop et une barre anti-roulis spécifique sur le train avant transforment le comportement routier. L'intérieur se résume à l'essentiel : un unique siège baquet, une ceinture de sécurité et un toit ouvrant noir courant sur toute la longueur.

FIAT-Abarth 695 SS Assetto Corse Berline Compétition 1970 - photo Bonhams

En 1969 apparaît la 595 SS Competizione, version ultime de la petite cylindrée. Les modifications incluent un élargissement des conduits de 6 centimètres et un abaissement de la caisse de 2,5 centimètres via une suspension modifiée.

595 SS Competizione - photo Artcurial

Des extensions d'ailes en résine permettent de monter des jantes plus larges. Commercialisée en 1970 au prix prohibitif de 890 000 lires - soit presque le double d'une Fiat 500 standard - la Competizione n'attire qu'une poignée d'enthousiastes fortunés. La production se limite à 20 exemplaires.

À voir aussi  Milan Abarth, la première supercar Autrichienne
FIAT-Abarth 695 SS Assetto Corse Berline Compétition 1970 - photo Bonhams

Enfin, le Saint Graal absolu : la 695 SS Assetto Corsa Radiale. Pas plus de cinq exemplaires du moteur Radiale expérimental ne furent construits par l'usine. Ce bloc se distingue par ses cylindres hémisphériques et sa carburation Weber. La carrosserie reçoit des élargisseurs accueillant des jantes en magnésium Elektron, tandis que le châssis bénéficie en option de freins à disque à l'avant, d'une suspension renforcée, d'une boîte courte et d'un différentiel autobloquant. L'un de ces cinq moteurs légendaires se trouve potentiellement aux États-Unis, les quatre autres étant réputés au Japon.

Une rareté devenue mythe

Cette complexité - douze dérivés différents selon les spécialistes - complique aujourd'hui l'authentification des exemplaires. Voie étroite ou large, SS ou non, Assetto Corse, Competizione, Radiale : autant de configurations possibles. Le fait que nombre de ces Abarth aient servi de voitures de course relativement accessibles explique qu'un grand nombre ait fini dans les arbres, les rails, les fossés, ou ait disparu définitivement. Les véritables Abarth de course avec un historique documenté sont exceptionnellement rares et, par conséquent, extraordinairement coûteuses.

Détails du badge esseesse - photo Joe Macari

Les collectionneurs recherchent particulièrement les exemplaires bénéficiant d'une traçabilité complète, idéalement accompagnés de leur libretto italien d'origine, de leur carnet d'entretien et, pour les versions homologuées, du précieux certificat de l'Automotoclub Storico Italiano (ASI) ou de l'Estratto Cronologico retraçant l'historique des propriétaires. Les versions Assetto Corse déclenchent des enchères enflammées lors des ventes prestigieuses.

La renaissance du scorpion en 2021

Conscient du capital émotionnel attaché à ce patronyme légendaire, Abarth décide en 2021 de ressusciter l'appellation « esseesse » avec une nouvelle série limitée basée sur la Fiat 500 moderne. Cette Abarth 695 esseesse du XXIe siècle rend hommage à ses ancêtres des années 1960 tout en intégrant les technologies contemporaines. Si le bicylindre a cédé sa place à un quatre-cylindres turbocompressé développant 180 chevaux, l'esprit demeure : transformer une citadine accessible en petite bombe capable de procurer des sensations démesurées.

Nouvelle 595 Abarth Esseesse apparue en 2021 - photo Stellantis

Cette filiation assumée témoigne de la permanence de la philosophie Abarth à travers les décennies. Comme ses devancières historiques, la 695 esseesse moderne privilégie l'agilité et le plaisir de conduite à la puissance brute. Les amateurs retrouvent les passages de roues élargis, les détails esthétiques évocateurs et, bien sûr, l'incontournable scorpion.

Les petites Abarth 595 et 695 SS incarnent à merveille l'audace et l'ingéniosité qui caractérisaient l'industrie automobile italienne de l'après-guerre. Dans un contexte où les constructeurs privilégient aujourd'hui la sophistication électronique et la puissance démesurée, ces miniatures des années 1960 rappellent qu'une voiture peut procurer un immense plaisir avec des moyens limités, pourvu que chaque composant soit optimisé avec intelligence et passion. Le fait qu'Abarth ait choisi de perpétuer ce nom prestigieux en 2021 démontre que l'héritage de Carlo Abarth et de ses scorpions demeure plus vivant que jamais dans l'imaginaire des passionnés. Comme l'écrivait John Bolster, la performance de ces voitures relève effectivement du surnaturel - et c'est précisément ce qui fait leur magie intemporelle.