En 1985, quand Toyota pose pour la première fois ses roues sur le mythique circuit de la Sarthe, personne n'imaginait que cette première participation marquerait le début d'une aventure de quatre décennies. La marque japonaise, encore jeune dans l'univers de l'endurance européenne, s'engage alors dans une longue quête qui illustre parfaitement l'esprit du kaizen, l'amélioration continue si chère à la philosophie industrielle nippone.
Cette histoire, faite de hauts spectaculaires et de bas dramatiques, s'est transformée en saga couronnée de succès, symbolisant aujourd'hui la résilience d'un constructeur qui a fait des 24 Heures du Mans un objectif stratégique majeur.
Les débuts discrets et la montée en puissance (1985-1997)
La première apparition de Toyota en 1985 est modeste mais déterminée. Avec la 85C, l'équipage japonais composé de Kaoru Hoshino, Masanori Sekiya et Satoru Nakajima parvient à se classer douzième. Ces premières années constituent un véritable apprentissage pour le constructeur nippon face aux géants européens que sont Porsche, Jaguar ou Mercedes. Toyota absorbe la culture de l'endurance, recrutant progressivement des pilotes venus du monde entier, comme les pionniers européens Geoff Lees et Eje Elgh.
Le tournant s'opère en 1992 avec la TS010 se battant face aux Peugeot 905, propulsée par un puissant moteur V10 de 3,5 litres. Pierre-Henri Raphanel, Masanori Sekiya et Kenny Acheson offrent à Toyota son premier podium manceau avec une deuxième place. Ce résultat constitue une véritable validation de la stratégie japonaise après sept ans d'efforts.
En 1994, l'équipage de la 94C-V composé de Mauro Martini, Jeff Krosnoff et Eddie Irvine répète l'exploit avec une autre deuxième place, confirmant la montée en puissance de Toyota parmi l'élite de l'endurance.
L'ère GT-One : si près du but (1998-1999)
La fin des années 1990 voit naître une véritable icône : la TS020 GT-One. Conçue par l'ingénieur français André de Cortanze, cette machine d'exception incarne l'apogée de l'engagement de Toyota avant sa première parenthèse. Avec son V8 RV36 de 3,6 litres développant 650 chevaux, ce prototype déguisé en GT représente encore aujourd'hui pour de nombreux passionnés l'une des plus belles voitures de course de l'histoire du Mans. La Toyota GT-One est une légende.
1999 restera gravé comme l'année où Toyota a frôlé la victoire. Martin Brundle signe la première pole position de la marque au Mans, tandis que l'équipage 100% japonais formé de Keiichi Tsuchiya, Ukyo Katayama et Toshio Suzuki termine à la deuxième place, avec une moyenne impressionnante de 206 km/h, signant ainsi le meilleur résultat d'un équipage entièrement nippon à cette époque.
Derrière les vainqueurs BMW, Toyota passe très proche d'enlever cette "édition du siècle", marquée notamment par l'envol des Mercedes CLR.
L'ère hybride et les victoires (2012-aujourd'hui)
Après treize années d'absence pendant lesquelles Toyota se concentre sur la Formule 1, le constructeur fait son grand retour en 2012 avec la TS030 Hybrid. Le constructeur pionnier de l'hybridation routière avec la Prius se devait de venir animer le LMP1 avec cette technologie.
Si 2016 reste comme une blessure profonde avec l'arrêt de la TS050 numéro 5 à quelques minutes de l'arrivée alors qu'elle dominait la course, cette défaite cruelle n'a fait que renforcer la détermination japonaise.
En 2017, Kamui Kobayashi établit un record mythique du circuit en 3'14"791 (251,882 km/h de moyenne) qui restera longtemps dans les annales. La victoire ? Elle se refuse, encore.
La persévérance paie enfin en 2018, lorsque Sébastien Buemi, Kazuki Nakajima et Fernando Alonso offrent à Toyota sa première victoire tant attendue. Cette première consécration est suivie de deux autres en 2019 et 2020, permettant à Toyota de conserver définitivement le trophée des 24 Heures, privilège réservé aux équipes victorieuses trois années consécutives. Kazuki Nakajima, fils de Satoru présent dans la première Toyota de 1985, devient ainsi le premier Japonais multiple vainqueur de l'épreuve.
Aujourd'hui, avec l'ère Hypercar et la GR010 Hybrid victorieuse dès sa première participation (puis à nouveau en 2022), Toyota a définitivement tourné la page des années de frustration pour écrire une nouvelle histoire plus glorieuse.
La saga Toyota aux 24 Heures du Mans est ainsi devenue l'incarnation parfaite de cette philosophie japonaise du "ganbarimasu" - persévérer jusqu'au bout. De simple outsider à quintuple vainqueur, le parcours de quatre décennies aura vu défiler sept générations de prototypes, des dizaines de pilotes de renom et une évolution technologique constante. Ce qui semblait un rêve inaccessible en 1985 s'est transformé en héritage durable, faisant de Toyota l'un des piliers contemporains de la plus grande course d'endurance au monde.