Après l'essoufflement des coûteux prototypes Groupe C, et l'échec de la convergence voulue par le législateur avec la Formule 1, l'Automobile Club de l'Ouest (ACO) et les promoteurs européens misent sur le retour des Grand Tourisme pour relancer l'intérêt des constructeurs et du public. Cette renaissance coïncide parfaitement avec l'émergence de la Honda NSX sur le marché automobile mondial, ouvrant ainsi la voie à une aventure sportive inédite pour la marque nippone.
La renaissance des GT et l'opportunité Honda
L'effondrement du Championnat du monde des voitures de sport (WSC) en 1992, avec ses grilles clairsemées de huit voitures en moyenne par épreuve, sonne le glas d'une époque dorée. Les Groupe C à moteurs atmosphériques 3.5 litres, inspirées de la Formule 1, se révèlent un gouffre financier que peu de constructeurs ou d'équipes privées peuvent assumer. Cette crise profonde pousse l'ACO à imaginer une alternative : le retour des Grand Tourisme aux 24 Heures du Mans en 1993, après une absence de presque dix ans (1985 étant la dernière année avant la généralisation des prototypes).
Cette révolution réglementaire inspire rapidement Jürgen Barth chez Porsche, Stéphane Ratel pour le Venturi Trophy et Patrick Peter, qui créent ensemble le championnat BPR Global GT Series. Le succès est immédiat : les grilles se remplissent d'une diversité extraordinaire de machines, des Ferrari F40 aux McLaren F1 GTR, en passant par les Jaguar XJ220 et les exotiques Venturi 600LM.
C'est dans ce contexte que Honda, forte du succès commercial de sa NSX lancée en 1990, décide de franchir le pas de la compétition. La firme d'Hamamatsu dispose d'un atout majeur : la première supercar véritablement aboutie du Japon, fruit d'un développement minutieux auquel ont participé les pilotes de Formule 1 Satoru Nakajima et Ayrton Senna. Avec son châssis monocoque en aluminium, son moteur V6 VTEC de 3 litres développant 270 chevaux et son équilibre exemplaire, la NSX possède toutes les qualités requises pour briller en compétition.
Les premiers pas prometteurs (1993-1994)
Honda confie initialement le développement sportif de la NSX à l'écurie allemande Seikel Motorsport, dirigée par Peter Seikel. En 1993, trois NSX sont spécialement préparées pour participer à l'ADAC GT Cup, le championnat allemand des Grand Tourisme. La toute première NSX GT se distinguait par sa teinte orange légèrement différente des livrées rouge sombre des voitures sœurs.
Les modifications apportées par Seikel sont substantielles mais mesurées : jantes BBS en magnésium de 18 pouces, freins Brembo, suspensions indépendantes avec triangles supérieurs et inférieurs, ressorts hélicoïdaux et amortisseurs aux quatre roues, système de levage rapide et arceau de sécurité Matter. Le moteur V6 voit sa puissance portée à 325 chevaux, tandis que le poids est allégé de 70 kilos par rapport à la version routière, conformément au règlement ADAC.
Pilotée par le double vainqueur des 24 Heures de Spa Armin Hahne, la NSX remporte sa première victoire à Zolder après un podium prometteur à l'AVUS, propulsant Hahne en tête du championnat. Cette réussite immédiate convainc Honda d'étendre son programme sportif.
Pour 1994, la marque japonaise franchit un cap en s'attaquant aux 24 Heures du Mans avec trois NSX GT2. Si Kremer Racing assure la préparation des voitures (et non pas Seikel comme pour les châssis ADAC GT), c'est le constructeur de châssis anglais John Thompson qui réalise la conception technique des machines. Thompson révolutionne la NSX en créant un châssis mixte aluminium-carbone, modifiant profondément les suspensions et revoyant l'aérodynamique. Le moteur V6 atmosphérique C30A de 3 litres développe désormais 380 chevaux, couplé à une transmission séquentielle Hewland à six rapports.
Les trois voitures terminent toutes la course : la numéro 48 de Hahne/Bouchut/Gachot se classe 14e au général et 6e en GT2, tandis que les numéros 46 et 47 finissent respectivement 16e et 18e, comme le détaille Automobiles Japonaises. Ce résultat honorable pour une première participation mancelle valide définitivement les ambitions sportives de Honda.
L'apogée et la désillusion (1995)
L'année 1995 marque à la fois l'apogée et le terme du programme NSX aux 24 Heures du Mans. Honda, désormais seul après le départ de Kremer vers Porsche, confie à John Thompson le développement de deux NSX GT1 révolutionnaires. L'une d'elles, la numéro 47, reçoit un traitement exceptionnel : le V6 VTEC est doté de deux turbos en position longitudinale, portant la puissance estimée à 630 chevaux pour un poids d'environ 1030 kilos, selon les données techniques répertoriées par Fail-Auto.
Parallèlement, Honda engage une troisième NSX en catégorie GT2 sous la bannière Team Kunimitsu, confiée au trio japonais Keiichi Tsuchiya, Kunimitsu Takahashi et Akira Iida. Cette stratégie à deux niveaux vise à maximiser les chances de succès de la marque nippone face à une concurrence redoutable : 27 voitures en GT1 sur 48 partants, incluant les redoutables McLaren F1 GTR, les Nissan Skyline GT-R LM et les Toyota Supra spécialement préparées.
Malheureusement, les essais révèlent rapidement les faiblesses du programme GT1. Les deux NSX GT1 connaissent de nombreux soucis mécaniques qui affectent leur temps de roulage, notamment la version turbo. L'embrayage se révèle défaillant et la boîte de vitesses trop fragile pour encaisser la puissance du V6 turbocompressé. Ces problèmes de mise au point se traduisent par des qualifications décevantes : 27e position pour la numéro 47 turbo, encore plus loin pour la 46 atmosphérique.
Le jour de la course, le 17 juin 1995, les espoirs s'effondrent rapidement. La numéro 47 turbo, pilotée par Hahne, grille son embrayage après seulement 7 tours et 50 minutes de course. La numéro 46 atmosphérique termine non classée après un accident sous la pluie qui nécessite de longues réparations.
Heureusement, l'honneur de Honda est sauf grâce à la NSX GT2 du Team Kunimitsu. Qualifiée 36e sur la grille en 4:15.550, la course de la numéro 84 se déroule presque sans encombre. Seuls quelques ajustements mineurs - pose d'une grille de protection sur les radiateurs, réglage des phares nocturnes et contrôle moteur - perturbent une course exemplaire. Au final, elle remporte la catégorie GT2 en terminant huitième au classement général, devant plusieurs GT1.
L'héritage durable d'une aventure éphémère
Cette victoire historique en GT2 marque paradoxalement la fin de l'aventure NSX aux 24 Heures du Mans. Honda, échaudée par l'échec cuisant du programme GT1 malgré les moyens considérables déployés, décide de ne pas renouveler l'expérience. Du moins, à minima, une seule NSX étant engagée en 1996 pour le Team Kunimitsu Honda avec Kunimitsu Takahashi, Keiichi Tsuchiya et Akira Iida, le trio japonais déjà vu en 1995.
La firme concentre désormais ses efforts sur le championnat japonais JGTC (futur Super GT), où la NSX connaîtra une carrière exceptionnelle de 1996 à 2009.
La NSX victorieuse numéro 84 de 1995 est aujourd'hui exposée dans sa livrée d'origine au Honda Collection Hall du Twin Ring Motegi.
L'héritage de ces trois années de compétition européenne dépasse largement les résultats sportifs. La Honda NSX GT a prouvé qu'une approche différente de la performance, privilégiant l'équilibre et la fiabilité aux solutions brutales, pouvait rivaliser avec les références établies. Le souvenir d'une période qui précède les monstres que furent les Porsche 911 GT1, Mercedes CLK GTR et autres McLaren F1 GTR dans leurs ultimes déclinaisons.