En annonçant la production future en série de la Renault 5 Turbo 3E, directement dérivée du concept présenté au Mondial de l’Automobile de Paris en 2022, Renault tente un pari osé. Celui de donner une héritière à un monument de son histoire, tout en jouant sur l’hyper-sportivité. Surprenant alors que l’heure est aujourd’hui à plus de mesure, et que c’est la marque Alpine qui a pris le flambeau du sport dans le groupe. Erreur stratégique guidée par la longue vague néo-rétro qui occupe toujours l’industrie automobile, ou idée de génie promise au succès ?
Quand la Renault 5 devenait une bête
Le 20 mai 1980, la Renault 5 Turbo première du nom entrait en production. Pour pouvoir ferrailler en rallye, et dynamiser encore les ventes de la version routière, Renault misait sur une déclinaison plus radicale que la Renault 5 Alpine, déjà dans la gamme depuis 1976. Là, l’idée n’était plus vraiment de prendre une base pour la rendre plus sexy (la Renault 5 Alpine avait le bloc moteur Cléon-Fonte de 1397 cm3, un nouveau bouclier monobloc, des jantes en tôle à large déport, et des sièges baquets). On cherchait à marquer les esprits, et à obtenir une voiture qui fasse tourner la tête, sur base de Renault 5. Rien que ça.
Le résultat est flamboyant : look bodybuildé, moteur arrière, propulsion, techniquement le travail est complexe, réalisé entre Flins-sur-Seine, Heuliez ou Alpine à Dieppe. Un projet de passionnés, avec les premières esquisses apparues en 1976. Un monument de l’automobile française naît. Une voiture loin d’être populaire comme la Renault 5, son prix créant une vraie barrière à l’achat. « Alors que Renault promettait de la vendre 95 000 francs, elle est finalement affichée à 115 000 francs à sa commercialisation. Un écart important, qui en refroidit plus d’un » raconte Etienne Crébessègues dans le livre « Renault, 50 ans de performance ».
La R5 Turbo 2, plus abordable à partir de 92 000 francs au lancement, écrit la légende. Des économies sont réalisées sur de nombreux éléments techniques, avec un intérieur plus dépouillé, des matériaux moins nobles, mais une partie moteur inchangée. Elle va séduire bien plus de candidats à la course (rallye, montagne) et devenir une référence. Un peu plus de 3000 exemplaires ont été assemblés (chiffre variable selon les sources, entre 3084 et 3167), soit bien mieux que les 1820 de la Renault 5 Turbo. Une auto restée, donc, relativement confidentielle, pensée avant tout pour l’efficacité en rallye, dans le prolongement de l’engagement de Renault en sport automobile. Car le nom « Turbo » avait vocation à faire le lien avec la Formule 1 (la marque au losange a été la première à imposer cette technologie en 1979, à Dijon) ou encore l’endurance (avec la victoire de la Régie en 1978 aux 24 Heures du Mans).
Faire renaître l’esprit pionnier
Les Turbo sont devenues légendaires par leur look, et je le crois par leur irrationalité. Avoir autant de chevaux (160, ce qui était énorme pour l’époque dans ce genre d’auto), et affronter des modèles référents, sans sourciller, a poussé le modèle au rang d’icône. Les Maxi 5 Turbo constituant le sommet.
Que cherche aujourd’hui à faire Renault en donnant une succession à la lignée ? Car c’est bien de succession qu’il faut parler. En nommant son auto Renault 5 Turbo 3E, la marque ne se dérobe pas, et inscrit cette version électrique (d’ou le E) dans les traces des deux grand-mères. Pourquoi faire ?
Présenté en première mondiale lors du concours d’élégance de Chantilly Arts et Élégance 2022, le concept Renault 5 Turbo 3E, dont dérive la version qui sera produite, a donné un premier signal. « A l’instar de ses aïeules, il s’agit d’une strict deux places avec groupe motopropulseur placé à l’arrière. Ce dernier est composé de deux moteurs électriques alimentant chacun une roue arrière » pouvait-on lire dans le communiqué de presse de l’époque. « La vocation compétition est confirmée par une carrosserie en carbone assemblée sur un châssis tubulaire, un fonds plat et par des arceaux de sécurité homologués par la FIA (Fédération internationale de l’Automobile) dans l’habitacle« .
Immense aileron arrière, clins d’oeil aux R5 Turbo via les ailes arrière, de larges entrées d’air ou le dessin des projecteurs antibrouillard, le concept a fait naître un espoir. Celui du retour en série d’une R5 méchante, racée. Nous en avons maintenant la confirmation, mais avec quelles adaptations à l’époque actuelle ?
Le look, toujours séduisant et misant sur un design tranché, est moins dingue que sur le concept, que l’on croyait tout droit sorti d’un univers cyberpunk. (Un peu) plus sage, elle tient ses promesses sur la performance et le design, et ne devient pas une version édulcorée.
Là où le concept affichait une motorisation électrique d’une puissance de 280 kW (380 chevaux) pour 700 Nm de couple, associée à une batterie de 42 kWh de capacité, la version présentée pour la production affiche… 500 chevaux ! Deux moteurs électriques entraînent chacun une roue arrière. Le 0 à 100 km/h est prévu en 3,5 secondes. Pas d’autres détails pour le moment.
Une authentique Renault ?
Le look, toujours séduisant et misant sur un design tranché, est moins dingue que sur le concept, que l’on croyait tout droit sorti d’un univers cyberpunk. (Un peu) plus sage, elle tient ses promesses sur la performance et le design, et ne devient pas une version édulcorée. Tant mieux.
Mais ce qui surprend, c’est sa commercialisation annoncée – sans date connue toutefois – au sein de la gamme Renault. Le constructeur a tué sa branche Renault Sport, pour faire émerger la marque Alpine, et annonce avec cette Renault 5 Turbo 3E de quoi ridiculiser l’A290.
Héritière de la R5 Alpine de 1976, l’A290 reprend les freins de l’A110 ou encore le bloc moteur électrique de la Mégane E-Tech et est proposée en deux versions de 180 et 220 ch (pour des autonomies respectives de 378 et 361 km). Là, on nous annonce une Renault avec 500 chevaux sous le pied droit.
Comme une incohérence alors que ce sont les couleurs Alpine qui, justement, sont actuellement en Formule 1 (avec de sacrées péripéties) et en endurance, avec un succès pour une première campagne en Championnat du Monde d’Endurance (WEC).
La promesse de la production en série est belle, et réveille la passion de tous les amoureux de voitures emblématiques. Mais le positionnement au sein des marques est étrange. Faut-il y voir un signal d’un projet plus grand ? Le WRC a présenté récemment les nouvelles lignes directrices de la règlementation 2027 avec ses futures Rally1, et cette nouvelle Renault 5 Turbo colle parfaitement ! La possibilité laissée pour chaque constructeur de choisir son groupe motopropulseur entre thermique à carburant durable, hybride ou même 100% électrique, le tout avec de nombreux styles de carrosseries, va créer un appel d’air dans la discipline. Et si Renault voulait renouer avec son histoire en rallye – en parallèle des A110 et A210 – et ne pas totalement se couper du sport ?
Le constructeur a, on l’espère, compris que son ADN est aussi lié à la compétition, et que les légendes écrites au détour de virages en Corse, de lignes droites en Sarthe ou dans les rues de Monaco, font bien plus d’effet pour stimuler les ventes que de simples artifices marketing.
Jaune, noire et blanche, évoquant les plus grandes heures de Renault en compétition, la Renault 5 Turbo 3E est peut-être celle par laquelle Renault Sport va renaître. Le constructeur a, on l’espère, compris que son ADN est aussi lié à la compétition, et que les légendes écrites au détour de virages en Corse, de lignes droites en Sarthe ou dans les rues de Monaco, font bien plus d’effet pour stimuler les ventes que de simples artifices marketing.
Dans le dernier épisode de la série documentaire « Anatomie d’un come-back », diffusée depuis le 13 décembre sur Prime Video, et dans laquelle la sortie de la Renault 5 Turbo 3E est confirmée, Luca de Meo, directeur général de Renault, semble confirmer cette prise de conscience : « On n’est pas seulement en train de nourrir l’histoire de Renault, mais aussi le mythe. On fait une pièce maîtresse. C’est un peu la sublimation de l’idée qu’on a de la Renaulution. On fait rêver les gens. C’est notre philosophie. C’est une partie du futur, qui montre bien qu’on veut créer de la surprise, de l’émotion. Je pense que ça reste la clé pour le succès dans l’automobile ».