Phil Bachman n'est pas un collectionneur comme les autres. Depuis 1984, ce revendeur automobile de Greeneville, Tennessee, a bâti l'une des collections Ferrari les plus cohérentes et singulières jamais constituées. Son secret ? Une approche unique qui consiste à acquérir systématiquement le dernier exemplaire de chaque modèle à sortir des chaînes de Maranello avant l'arrêt de production. Une méthode devenue si familière aux équipes de l'usine italienne qu'elle ne suscite plus aucune surprise.
Mais ce qui distingue véritablement cette collection, c'est sa livrée : là où le monde entier associe Ferrari au rouge légendaire, Phil Bachman a choisi le jaune. Une vague d'or italien qui impose sa signature visuelle, complétée par des finitions intérieures sur mesure rendant chaque modèle unique. Aujourd'hui, cette armada de 46 véhicules – dont 43 Ferrari et 3 Alfa Romeo – s'apprête à rejoindre les enchères Mecum de Kissimmee, en Floride.
Une collection qui traverse l'histoire moderne de Ferrari
La collection Bachman n'est pas une simple accumulation de supercar italiennes. C'est un véritable voyage chronologique à travers l'évolution de Ferrari, depuis l'âge d'or de la compétition jusqu'aux hypercars contemporaines. Le joyau historique de l'ensemble demeure sans conteste la Ferrari 166 MM/53 Vignale Spyder de 1953, une barquette de course dont le palmarès inclut les plus prestigieuses épreuves d'endurance. Avec son numéro de châssis 0342/M, elle incarne l'esprit pionnier d'Enzo Ferrari, à une époque où chaque voiture sortant de l'atelier était destinée à briller sur circuit.
La décennie suivante s'illustre avec une 250 GT/L Berlinetta Lusso de 1964, cette Grand Tourisme raffinée dessinée par Pininfarina qui allie performances et élégance. Mais c'est la 275 GTB/4 Alloy de 1967 qui fait véritablement battre le cœur des puristes : équipée du mythique V12 à quatre arbres à cames en tête et dotée d'une carrosserie en aluminium, elle représente l'apogée technique de son époque. Son châssis 10269 fait partie des exemplaires les plus recherchés de la production Ferrari.
Les années 1970 voient l'arrivée des légendaires Daytona, avec pas moins de trois exemplaires dans la collection : une version « Plexi » de 1970 – reconnaissable à ses phares transparents protégés par une plaque de plexiglas – et deux modèles de 1973. Ces GT à moteur V12 avant développant 352 chevaux demeurent parmi les plus rapides de leur génération. La même période accueille également deux Ferrari Dino 246 GTS de 1974, dont une version « Chairs and Flares » aux extensions d'ailes élargies, ainsi qu'une rarissime 365 GT4 BB de 1975, première Berlinette Boxer à moteur central flat-12.
Les icônes des années 1980 et 1990
C'est avec une 308 GTS Quattrovalvole de 1984 – la toute première Ferrari à rejoindre la collection Bachman – que débute véritablement l'aventure du collectionneur américain. Cette version à quatre soupapes par cylindre du célèbre V8 transversal incarne la quintessence de la sportivité italienne accessible. Mais l'année 1985 marque un tournant décisif avec l'acquisition d'une 288 GTO, modèle homologué pour le Groupe B qui ne verra jamais la compétition suite à l'annulation de la catégorie. Avec seulement 272 exemplaires produits, elle demeure l'une des Ferrari les plus convoitées de l'histoire.
Les supercar des années 1990 occupent une place de choix : deux Ferrari F40 – cette bombe de carbone et kevlar développant 478 chevaux qui fut la dernière voiture approuvée par Enzo Ferrari lui-même – côtoient une F50 de 1995, dont le V12 dérivé de la Formule 1 offre des sensations uniques. La présence de deux 512 TR et d'une F512 M témoigne également de l'attachement du collectionneur aux flat-12 atmosphériques, ces moteurs au chant incomparable qui firent la légende des Testarossa.
La collection atteint son apogée avec les modèles les plus exclusifs de l'ère contemporaine. L'Enzo de 2003, baptisée en hommage au fondateur de la marque, représente le summum technologique de son époque avec ses 660 chevaux et son aérodynamique inspirée de la Formule 1. Seuls 400 exemplaires furent produits.
La collection comprend également des éditions ultra-limitées comme la 550 Barchetta Pininfarina de 2001 (448 exemplaires), deux 575M Superamerica à toit électrochrome (559 unités), une 599 GTO de 2011, une 599 SA Aperta (80 exemplaires), une 458 Speciale A, et une F12tdf de 2017. Sans oublier le prototype de compétition FXX de 2006, réservé à une utilisation sur circuit lors d'événements Ferrari exclusifs.
Kissimmee : rendez-vous du 6 au 18 janvier
La vente Mecum de Kissimmee, en Floride, est l'une des ventes aux enchères les plus impressionnantes au monde, notamment par la quantité de voitures présentes. Du 6 au 18 janvier, cette session accueillera l'intégralité de la collection Bachman.
L'inventaire précis révèle 43 Ferrari s'échelonnant de 1953 à 2017, complétées par trois Alfa Romeo – deux 8C Competizione et une 8C Spider – qui témoignent de l'intérêt du collectionneur pour d'autres joyaux transalpins. Chaque véhicule est documenté avec son numéro de châssis VIN et son kilométrage exact, garantissant une transparence totale pour les acheteurs potentiels. Les estimations, bien que non divulguées publiquement, devraient atteindre des sommets pour les modèles les plus rares : une LaFerrari Aperta peut aujourd'hui dépasser les 5 millions d'euros, tandis qu'une 288 GTO en parfait état se négocie autour de 3 à 4 millions d'euros.
Phil et Martha Bachman, reconnus comme experts dans le milieu des concours d'élégance où ils ont souvent officié en tant que juges, ont partagé cette passion avec leur fils. Interrogé sur sa Ferrari préférée, Phil Bachman emprunte à Enzo Ferrari lui-même une réponse pleine d'audace : « La prochaine ! ». Une philosophie qui résume parfaitement l'esprit d'un collectionneur tourné vers l'avenir plutôt que figé dans la nostalgie.
Cette dispersion marque la fin d'une ère, celle d'une collection bâtie avec méthode, passion et une vision unique. Les enchères de Kissimmee s'annoncent historiques, à l'image de cette collection qui a su imposer sa couleur – le jaune – dans un univers dominé par le rouge rosso corsa.
