En 2003, lorsque BMW dévoile la M3 CSL, le monde de l'automobile sportive reste perplexe. Une M3 à près de 70 000 € avec seulement 17 chevaux de plus que le modèle standard ? Une boîte robotisée SMG obligatoire à l'heure où le plaisir du talon-pointe fait encore l'unanimité ? Des sièges baquets fixes et un habitacle dépouillé pour une voiture censée être utilisable au quotidien ? La recette semblait bancale, presque anachronique. Pourtant, plus de deux décennies plus tard, cette même CSL est devenue l'une des BMW M les plus recherchées, ses cotes s'envolent entre 70 000 et 120 000 € et les puristes la considèrent comme l'apothéose de la philosophie M. Comment cette incomprise est-elle devenue une légende ?
Une philosophie à contre-courant
À l'aube des années 2000, l'industrie automobile vit une période charnière. Les constructeurs rivalisent de puissance, les turbos commencent leur offensive et l'électronique envahit progressivement les habitacles. Dans ce contexte, la CSL fait figure d'ovni avec sa recette old-school : plutôt que d'ajouter des chevaux à tout-va, les ingénieurs ont choisi la voie de l'allègement radical. 110 kilogrammes en moins par rapport à une M3 standard, voilà le véritable tour de force.
Cette cure d'amaigrissement n'a rien d'anecdotique. Toit en fibre de carbone – une première pour une BMW M de série –, capot en aluminium, vitres arrière allégées, suppression de l'insonorisation, sièges baquets Recaro, panneaux de portes en composite... Même le faisceau électrique a été redessiné pour grappiller 1,5 kilogramme ! Les ingénieurs dirigés par Gerhard Richter avaient une obsession : le rapport poids-puissance. Avec 3,85 kg par cheval, la CSL atteignait des valeurs dignes d'une authentique sportive, sans avoir recours à la suralimentation ou à une cylindrée démesurée.
« Notre objectif principal est que la voiture soit amusante à conduire. La puissance brute n'est pas aussi importante que l'agilité », confiait Richter à l'époque. Une philosophie qui tranche avec les surenchères actuelles et qui explique pourquoi la CSL résonne encore aujourd'hui auprès des puristes. Le poids final de 1 385 kilogrammes permettait d'exploiter pleinement les qualités dynamiques du châssis E46, déjà reconnu comme l'un des plus équilibrés de sa génération.
Le mythe de la boîte à air en carbone
S'il y a bien un élément qui cristallise l'essence même de la CSL, c'est sa boîte à air en carbone. Cette pièce maîtresse, logée sous le capot et alimentée par l'unique prise d'air circulaire en lieu et place de l'antibrouillard gauche, transforme le caractère du six cylindres en ligne S54B32HP. Les 360 chevaux à 7 900 tr/min et les 370 Nm à 4 900 tr/min ne racontent qu'une partie de l'histoire.
Ce qui marque à vie quiconque a conduit une CSL, c'est ce hurlement d'admission unique, cette complainte mécanique qui monte en intensité dès 2 500 tr/min pour culminer dans une symphonie assourdissante à l'approche de la zone rouge. Un son si caractéristique que certains propriétaires avouent rouler vitres entrouvertes même en plein hiver pour mieux s'en délecter. Cette signature sonore est devenue l'un des arguments majeurs justifiant les cotes actuelles du modèle.
Le moteur lui-même, dérivé du bloc standard mais optimisé avec de nouveaux arbres à cames et des soupapes d'échappement modifiées, représentait le chant du cygne du six cylindres atmosphérique chez BMW M. Un moteur élu « International Engine of the Year » cinq années consécutives dans sa catégorie 3 à 4 litres, rappelons-le. Les performances étaient à la hauteur : 0 à 100 km/h en 4,9 secondes et une vitesse maximale bridée à 250 km/h, portée à 280 km/h pour les détenteurs d'une licence de course.
La controverse SMG : handicap ou signature ?
Impossible de parler de la CSL sans évoquer l'éléphant dans la pièce : la boîte SMG II avec Drivelogic. Cette transmission séquentielle robotisée à simple embrayage était, et reste, le point de cristallisation de toutes les critiques. Pas de boîte manuelle disponible, une décision qui fit grincer bien des dents à l'époque.
À froid ou à bas régime, la SMG se montre brutale, hésitante, désagréable. Les passages de rapports claquent avec une violence qui ferait passer une boîte de course des années 80 pour un modèle de douceur. Mais paradoxalement, c'est précisément ce caractère brut qui fait aujourd'hui partie intégrante de l'identité CSL.
Car lorsqu'on apprend à dompter cette transmission capricieuse – en utilisant le levier central plutôt que les palettes, en adaptant son style de conduite, en acceptant ses humeurs matinales – elle révèle ses qualités. Sur circuit ou en conduite sportive, les passages de rapports s'effectuent en un éclair, les rétrogradages avec talon-pointe automatique font frissonner et l'ensemble contribue à cette sensation de piloter une véritable voiture de course homologuée pour la route. BMW revendiquait d'ailleurs un chrono de 7'50'' sur la Nordschleife, quatre secondes de mieux qu'une Porsche 911 GT3 996 de l'époque.
Un habitacle entre course et route
Pénétrer dans une CSL, c'est comprendre immédiatement qu'on n'est pas dans une M3 ordinaire. Les sièges baquets fixes avec leurs flancs en composite vous enveloppent fermement, la position de conduite est basse et engagée, le volant gainé d'Alcantara tombe parfaitement en main. L'ambiance est monochrome – gris et noir partout – avec pour seule touche de couleur les segments orange et rouge du compte-tours qui se déplacent progressivement avec la montée en température du moteur.
Les panneaux de portes allégés avec leurs simples tirettes, la console centrale en carbone, l'absence de nombreux équipements de confort... Tout respire le dépouillement fonctionnel. Sur les 1 383 exemplaires au total dans le monde selon BMW M – seuls deux coloris étaient proposés : Sapphire Black ou Silver Grey.
Les pneus semi-slicks Michelin Pilot Sport Cup montés sur des jantes BBS allégées constituaient l'équipement de série, avec obligation pour l'acheteur de signer une décharge reconnaissant leur comportement délicat sur route mouillée. Un détail qui illustre parfaitement l'état d'esprit CSL : la performance avant le compromis.
Une incomprise
Aujourd'hui, la CSL occupe une place à part dans le panthéon BMW M. Elle représente le dernier souffle d'une époque où la pureté de conduite primait sur les gadgets électroniques, où le poids comptait autant que la puissance, où le plaisir sensoriel – ce son d'admission envoûtant, cette direction hydraulique communicative, cette brutalité mécanique assumée – l'emportait sur le confort et la polyvalence.
Les exemplaires en excellent état avec un faible kilométrage sont devenus des pièces de collection jalousement gardées. Les prix, qui étaient tombés sous les 35 000 € il y a une décennie, ont désormais triplé pour les meilleurs exemplaires. La CSL a ouvert la voie aux futures éditions limitées M – les M3 GTS E92 avec son V8 de 450 chevaux, M4 GTS F82 et ses appendices aérodynamiques exubérants, et récemment la M4 CSL G82 avec ses 550 chevaux – mais aucune n'a su capturer cette alchimie si particulière entre brutalité et finesse, entre voiture de course et utilisabilité routière minimale.